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vieux laquais qui négligeait tout-à-fait les fonctions de l’office et de l’antichambre pour s’adonner à la culture du jardin potager, et à une servante appelée Madeleine Panozon, et surnommée la Rousse, dont les attributions auraient été peu de chose, si elles s’étaient bornées à faire seulement la cuisine chez M. le baron ; mais la robuste fille soignait en outre tout le ménage, et aidait Mme la baronne à filer le linge de la famille.

L’architecture du château de Colobrières appartenait à diverses époques. La grosse tour qui formait comme le noyau de l’édifice était du style roman, massive, carrée, et percée d’ouvertures à plein cintre ; les corps de logis qui l’environnaient dataient de la renaissance. Un Colobrières, capitaine dans une compagnie d’aventuriers, ayant fait avec succès les grandes guerres d’Italie, et s’étant trouvé au sac de Rome, avait rapporté un gros butin de ses campagnes. Il releva le manoir héréditaire, y tint cour plénière avec une foule de bons compagnons, et mourut ne laissant à ses héritiers que ce beau château orné de tableaux et de meubles de prix. À l’époque où se passait l’histoire que nous allons raconter, les constructions modernes groupées autour du vieux donjon étaient déjà fort délabrées ; le mobilier s’était détérioré et avait en grande partie disparu en passant par les mains de cinq ou six générations, et il ne restait véritablement de l’antique splendeur des Colobrières que quelques débris passés à l’état de reliques, tels qu’un bahut incrusté de nacre et d’ivoire, où le baron tenait ses archives, une horloge à carillon, et six couverts d’argent aux armes de Colobrières. Depuis quelque cinquante ans, on n’avait fait aucune réparation à la toiture ni aux boiseries extérieures ; aussi les fenêtres étaient-elles pour la plupart dépourvues de vitres et de volets, et la pluie avait-elle effondré les planchers. Les appartemens du premier étage n’étaient plus habitables, et la famille s’était établie dans les pièces voûtées du rez-de-chaussée, qui offraient à peu près la température d’une cave, chaude en hiver, fraîche au cœur de l’été.

La chapelle était dans un état complet de délabrement, et depuis longues années la famille de Colobrières allait entendre la messe au village voisin. C’était une grande mortification pour la baronne, qui n’avait fait qu’un rêve ambitieux dans sa vie, celui de posséder une cinquantaine d’écus pour réparer la chapelle et d’y faire dire la messe les dimanches et fêtes par quelque frère mineur qu’elle convierait ensuite à dîner ; mais il n’y avait point d’apparence que les finances du baron pussent jamais fournir à une telle dépense, et la