Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quittez sur-le-champ ce château, car je me serai résignée à mon sort…

Elle s’était levée. Pierre Maragnon lui dit alors d’un ton soumis et pénétré : — Votre salut ou votre perte sont entre vos mains, mademoiselle ; que le ciel vous inspire et vous ramène ici demain matin !

Agathe souleva dans ses bras la petite fille endormie, et sortit lentement. Il lui fallait traverser une partie du château pour regagner sa chambre. Le silence de la nuit, les pâles clartés de la lune qui formait sur les parquets disjoints des cadres lumineux, donnaient à ces vastes salles, depuis long-temps inhabitées, un aspect lugubre et désolé qui frappa Mlle de Colobrières ; elle jeta autour d’elle un long regard, comme pour constater la décadence, la ruine entière de sa maison, et passa outre en réfléchissant sur cette orgueilleuse misère, sur le douloureux contraste d’une si étroite indigence avec cette haute noblesse, sa seule et funeste dot. En rentrant dans sa chambrette, elle déposa l’enfant sur le lit, et s’assit pensive devant le prie-dieu. Sa lampe, qu’elle avait laissée allumée, ne jetait plus qu’une lueur vacillante sur les boiseries noirâtres qui se découpaient sur le fond terne des lambris. Au milieu du silence universel, on entendait l’invisible ciron qui travaillait sourdement dans le bois, et poursuivait la lente destruction de ces jolies sculptures creusées dans le chêne ou le noyer. Par momens, le bruit de l’insecte rongeur était interrompu par de légers frôlemens ; c’étaient les souris affamées qui trottaient derrière les panneaux, et faisaient tomber le plâtre humide des vieux murs. On était à la fin d’octobre ; déjà la mauvaise saison faisait sentir son âpre influence, et, à mesure que la nuit avançait, un air plus froid pénétrait dans la chambre à travers les ais délabrés de la fenêtre, et faisait frissonner Agathe. La pauvre fille s’était mise à genoux, elle voulait prier ; mais, tandis que son cœur essayait de s’élever vers Dieu, son esprit demeurait livré aux tourmens de la réflexion. Comme toutes les personnes qu’aucune passion, aucun sentiment vif n’entraîne, elle demeurait incertaine, épouvantée, devant les deux partis entre lesquels il fallait opter, et tremblait, quoi qu’elle fît, de s’en repentir le lendemain. Si elle eût trouvé autour d’elle plus de sympathie et de tendresse, l’amour de la famille l’eût emporté en ce moment ; elle aurait songé à la désolation, à la honte qu’une mésalliance jetterait sur sa maison ; mais le baron ne prenait pas grand intérêt à son sort ; tout ce qu’il y avait en lui de sentimens affectueux était absorbé par les gentils marmots dont le nombre s’accroissait