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interrompit le baron ; mais, madame, à quoi songez-vous avec vos suppositions ?

— Je ne suppose rien, je me rétracte, se hâta de répondre Mme de Colobrières. Agathe, il est vrai, n’osera jamais se présenter ici, nous ne devons pas la revoir ; mais est-ce une raison pour refuser ce que je vous propose ? Il ne s’agirait pas de lui faire directement des ouvertures ; on prierait M. le curé d’écrire, comme si cette idée venait de lui, et lui-même pourrait terminer l’affaire en votre nom. La tour de Belveser vaut bien cinq cents écus ?

— Elle vaut davantage, répondit le baron ; mais je dois avouer que personne, dans le pays, ne m’en offrirait seulement un double louis.

— Des siècles se passeraient sans qu’il se présentât un acquéreur ! s’écria la baronne ; je me suis laissé dire que feu M. votre grand-père, pressé par un homme auquel il avait acheté un cheval à crédit, voulut lui abandonner en paiement cette propriété, et qu’il refusa de la prendre.

— Cela ne m’étonne pas, répliqua naïvement le baron.

— Je ferai part de mon idée à M. le curé, reprit Mme de Colobrières, sentant que le moment de prendre l’initiative était venu, c’est lui qui agira seul ; car, j’en conviens, nous ne pouvons avoir directement aucun rapport avec la veuve de Pierre Maragnon.

C’était le curé de Saint-Peyre, celui-là même qui, trente ans auparavant, avait marié Mlle de Colobrières, que la baronne comptait charger de cette négociation. Le digne homme avait vieilli dans son humble presbytère, sans ambitionner un bénéfice plus considérable. Il visitait souvent la famille de Colobrières, et s’était un peu mêlé de l’éducation des enfans. Gaston lui devait de pouvoir expliquer passablement les auteurs latins, et de savoir écrire une lettre en français. Lorsque la baronne lui eut manifesté ses intentions, il trouva la chose convenable, et se chargea d’écrire à Mme Maragnon, sans lui adresser toutefois aucune proposition directe, et sans la flatter surtout de l’espoir d’une réconciliation impossible. Quelques jours plus tard, il reçut la réponse suivante :


« MONSIEUR LE CURE,

« J’ai été comblée de joie en recevant les nouvelles que vous m’envoyez de mon frère et de ma chère sœur. Quoique je ne me flatte point qu’ils me rendent jamais quelque part de leur amitié, je leur