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l’on y retrouvait les derniers débris des splendeurs d’un meilleur temps : les sièges, dépareillés, étaient garnis d’étoffes riches, mais si usées, si rapiécées, qu’il était difficile de reconnaître quel était le tissu primitif à travers tant de morceaux disparates ; les tables en bois de chêne curieusement travaillé avaient souffert l’injure de restaurations modernes, pratiquées avec la scie et le marteau ; le fameux bahut, où le baron de Colobrières serrait ses archives, était placé entre les fenêtres, et formait vraiment la plus belle pièce du mobilier. Il n’y avait pas vestige de tapisserie sur les murs ; cette salle était autrefois la salle d’armes, les trophées guerriers que les anciens seigneurs de Colobrlères y avaient suspendus présentaient une plus belle décoration que des tentures de cuir ou de haute lisse ; mais les armures avaient disparu depuis long-temps, et il ne restait plus que les clous auxquels elles étaient jadis attachées. Ces crocs de fer, ressortant çà et là de la pierre, soutenaient maintenant des plantes sèches, arrangées en longues guirlandes par la baronne, qui conservait ainsi sa provision d’armoise et de mélisse. — Ma chère nièce, dit la baronne, se souvenant tout à coup de l’élégant équipage qui avait amené la jeune fille, vous avez laissé votre monde là, dehors ; il faudrait faire entrer les gens et remiser les chevaux.

— Non, ma tante, non, je vous remercie ; ce n’est pas la peine, répondit-elle vivement. Permettez-moi seulement d’aller donner quelques ordres.

À ces mots, elle se leva en tendant la main à Anastasie comme pour la prier de l’accompagner, et toutes deux retournèrent sur la plate-forme. Le carrosse était toujours devant la porte. — Mademoiselle, dit Eléonore en s’adressant à la personne qui l’avait accompagnée. Comtois va vous ramener à Belveser. Dites, je vous prie, à ma mère, que M. le baron et Mme la baronne de Colobrières m’ont retenue ; l’on reviendra me chercher demain.

— Sainte Vierge ! repartir seule, à pareille heure ! mais je vais avoir une peur horrible par ces mauvais chemins ! s’écria une petite voix aigre et fêlée.

— Soyez donc tranquille, il ne peut rien vous arriver de fâcheux, répondit Eléonore ; bon voyage ! ma chère demoiselle Irène ! — Puis, s’adressant au cocher, elle lui dit, avec un petit geste d’autorité : — Allez !

Anastasie fut si étonnée de l’entendre parler ainsi, qu’elle se hasarda à lui demander qui était cette demoiselle qu’elle renvoyait coucher à la tour de Belveser.