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instructions spéciales et ne les ayant pas remplies, disait à ses commettans :


« Je n’ai point obéi à vos instructions ; j’ai suivi celles de la vérité et de la justice ; j’ai soutenu vos intérêts contre vos opinions avec une constance dont je suis fier. Un représentant digne de vous doit agir ainsi. Je dois consulter votre jugement sans doute, mais surtout je dois me demander si, dans cinq années, vous et moi nous penserons sans regret et sans remords à la résolution prise aujourd’hui. Fallait-il me guider sur l’étincelle du moment ? En me choisissant, vous avez voulu placer une base solide qui étayât l’empire, et non mettre une girouette sur le toit de l’édifice ; instrument qu’on élève pour sa mobile souplesse, instrument semblable à ce député ductile, indicateur complaisant des caprices de la foule et des rhumbs du vent populaire ! »


En 1775, ces opinions de 1688 étaient encore sinon populaires, du moins soutenables. Le candidat de Bristol, le commerçant Cruger, après le discours de Burke, dit au peuple : La précédente éloquence est de première qualité. Ditto I ditto ! ditto ! »

Burke fut élu. Aux communes, il continua sa campagne contre North en faveur du cabinet Rockingham. Le point d’attaque était bien choisi pour battre en brèche le ministre et la prérogative, tout en se conciliant les diverses nuances des whigs. Il n’y avait pas d’ami de la liberté qui ne dût applaudir à la défense de l’Amérique opprimée, à la vigueur infatigable et à la puissance d’éloquence avec lesquelles Burke servait la liberté des colonies. En fait de prudence comme de moralité, il avait raison. C’était une nation devenue virile et qu’il fallait émanciper de bonne grace, si l’on ne voulait pas qu’elle brisât sa tutelle. D’ailleurs, il ne conseillait pas l’abandon des colonies par la métropole, mais leur émancipation progressive, ni une concession honteuse, mais une paix honorable et généreuse. Jamais sa parole, qui devint trop magnifique ensuite, ne fut plus saine, plus sobre, plus majestueuse que pendant cette belle époque de sa vie. Ses discours sur la paix avec l’Amérique comptent entre les plus beaux monumens de l’éloquence moderne, et se distinguent par l’énergie, la concentration du style, surtout par une sagacité de prévision extraordinaire. Dans les passages que nous extrayons, il prophétise l’émancipation définitive des États-Unis, la naissance de la fédération américaine, et, par un effort de pénétration plus digne encore de remarque, la scission des états du nord et des états du sud.

« Je crois peu, dit-il, aux gouvernemens sur le papier. Les plans d’une