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porté à s’armer pour la défense d’un monde nouveau, l’Amérique, l’entraînèrent vers le vieux monde oriental, opprimé et asservi, qu’il entreprit de venger. Déjà plusieurs circonstances avaient appelé sur les affaires de l’Inde l’attention de Burke. A peine Clive, habile aventurier dont la ruse et la violence préparèrent la domination anglaise dans la péninsule, avait-il ouvert à la compagnie des Indes cette vaste source de richesses, que les ministères de Bute, de North et de Chatham tentèrent de détourner au profit de l’état une partie de ces trésors. Burke, membre de l’opposition, les combattit, et eut ainsi l’occasion d’étudier la portion la plus compliquée et la plus obscure de l’administration et de l’histoire britanniques. Peu de temps après, son cousin William Burke, homme d’esprit, ruiné par des habitudes de dissipation, reçut la mission de porter des dépêches du gouvernement à lord Pigot, gouverneur de Madras, qu’il ne trouva plus vivant. William se hâta de revenir à titre d’agent particulier du rajah de Tanjore, puis retourna dans l’Inde, en 1779, comme payeur-général de l’armée. Ce fut lui qui dépeignit à son cousin les horribles exactions dont la péninsule était le théâtre, qui se chargea de faire parvenir à son oreille les cris de ces anciens rois dépossédés et réduits à l’aumône, qui fit monter jusqu’à l’Angleterre cette odeur de sang et de pillage, cette clameur de famine et de souffrance qui s’élevaient sous les pas des usurpateurs commerciaux. L’ame de Burke fut émue dans ses profondeurs, et son ardente imagination s’embrasa de fureur. Ce fut bien pis lorsque deux Indiens, envoyés par Ragganaut, furent rencontrés par Burke dans les rues de Londres, tremblans de froid, objets de railleries et d’une pitié dédaigneuse. Il les recueillit dans sa maison champêtre de Beaconsfield, leur donna pour logement une serre qu’il fit meubler tout exprès pour eux, selon la mode de leur pays[1], et jura de venger sur Warren Hastings l’humanité, la morale et la justice.

Warren Hastings, fils d’un obscur ecclésiastique protestant et longtemps pauvre commis de la compagnie des Indes, versé dans les langues orientales, qu’il avait apprises seul, homme d’exécution, de résultat et de succès, remarquable par la force du caractère, la suite des plans et une extrême finesse ; avait servi la compagnie des Indes par des crimes ; c’était servir l’Angleterre. Qu’est-ce donc que cette compagnie, sinon l’instrument principal de la conquête et du commerce anglais ? et l’Angleterre sans commerce, que peut-elle être ? Rien. Écartons donc tous les sophismes. Oui, Hastings était l’homme de l’Angleterre,

  1. Tome III, p. 201.