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qui emporte les sociétés renouvelées. C’est aussi de cette dernière époque de sa vie que date le dernier excès de son style ; c’est alors qu’il écrit ces phrases où l’accumulation des images, l’incandescence des métaphores et la fureur de l’invective dépassent souvent le but qu’il veut atteindre, et trompent la violence de son effort.

Pendant que l’ébauche de la sainte-alliance était préparée par Burke, et que Richard, son fils, s’entendait à Coblentz avec les princes pour jeter les fondemens d’une coalition contre la France républicaine, Beaconsfield devenait le rendez-vous des émigrés français et le point de ralliement de ceux des whigs de 1688 qui étaient restés fidèles au principe aristocratique. Ils étaient en petit nombre ; l’effet naturel et nécessaire de la révolution française avait été de rapprocher l’aristocratie du trône, le whiggisme du peuple, et de supprimer ou d’éteindre le parti intermédiaire de la liberté aristocratique. Les partis s’étaient dessinés, et la monarchie d’une part, la liberté populaire de l’autre, avaient rangé leurs soldats sous deux bannières ennemies. Le découragement amer qui s’emparait de Burke ne brisait pas sa plume et ne désarmait pas sa colère. Un dernier coup vint le frapper ; il perdit son fils Richard, le confident, l’ami, le soutien de sa vieillesse, et ne fit plus que languir. Après avoir soutenu quelque temps la guerre contre une armée de tribuns populaires, qui voyaient en lui l’athlète odieux du passé et le soutien des abus, il mourut à Beaconsfield, en 1797, l’œil fixé sur le sombre avenir qu’il annonçait à l’Europe, laissant un nom illustre, des écrits admirables et une fortune délabrée.

C’est un fait curieux, que non-seulement Fox, mais Pitt, Sheridan et même Burke, les hommes qui menaient l’Angleterre ou qui la conseillaient dans cette grande époque, ont vécu au milieu des dettes, et sont morts dans le même abîme. Cependant ils ne se ressemblaient guère. Si Sheridan était ivrogne et Fox joueur, Pitt n’avait point de passions, et Burke, rangé comme un quaker, vivait de rien. Aucun d’eux ne fit honneur à ses affaires : Fox mourut insolvable ; le cercueil de Sheridan allait être saisi sans l’intervention de ses amis ; l’état paya les dettes de William Pitt, et celles de Burke, ne purent être acquittées par sa veuve que dix années après sa mort et au moyen des plus continuelles privations. L’homme qui poursuit de nobles intérêts ou de hautes idées, artiste ou philosophe, homme d’état ou écrivain, fait peu d’attention à l’argent. Toute grandeur est désintéressée. Cette absorption le jette en pâture aux petits intérêts