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actifs qui l’environnent, qui déchirent à l’envi cette proie et la dévorent par lambeaux. La nièce de Pitt fait un tableau hideux de l’intérieur de son oncle sans cesse volé. Ces géans de l’ordre intellectuel sont des enfans que battrait, en fait d’économie personnelle, l’intelligence la plus débile, repliée sur l’égoïsme et concentrée dans les calculs de la vie matérielle.

Tel nous est apparu dans cette volumineuse correspondance le caractère singulier et énigmatique d’Edmond Burke. Telles sont les trois phases de cet écrivain politique et de cet orateur philosophe, si austère dans les principes et si impuissant sur les faits. Sa lutte contre le ministère pour l’Amérique, celle qu’il a soutenue contre Hastings pour les rajahs, contre la révolution française pour l’aristocratie, n’ont obtenu aucun résultat. Sa vie, que l’on s’est habitué à regarder comme ballottée d’incertitudes violentes, est la plus simple du monde, et soumise à un seul mouvement régulateur. Voulant faire triompher le juste, il dédaigne l’expédient. Le vrai est pour lui dans la conservation du passé le juste dans la garantie donné aux intérêts et aux droits ; c’est ainsi qu’il agit uniformément dans ses trois luttes. Il veut que la colonie américaine soit dépendante de la métropole, mais non opprimée ; il veut que le commerce de la Grande-Bretagne avec l’Inde fleurisse, et ne soit pas taché de sang ou souillé des boues de la cupidité ; il veut que l’état social de 1688 subsiste malgré la France de Robespierre. Au fond de la pensée de Burke, on voit un seul idéal qui s’élève et règne, qu’il soit dans l’opposition ou qu’il s’en sépare, qu’il vote avec Fox ou contre Fox, qu’il parle contre les ministres pour l’Amérique, contre Bastings pour l’Hindoustan, contre la France républicaine pour l’aristocratie whig attaquée. De là sa violence exaltée, devenue une maladie et un fanatisme.

Les éditeurs, dans la préface de cette correspondance, rapportent que plusieurs biographes ont successivement essayé d’écrire la vie politique de Burke, et se sont désistés. En effet, celle de M. Prior est bien incomplète, et la difficulté étant dans le fond, non dans la forme, il faut, pour la vaincre, aborder et étreindre avec audace l’éternelle question de Machiavel. Y a-t-il un absolu en politique ? Et la poursuite du succès s’accorde-t-elle avec la recherche du bien ? Machiavel l’a résolue négativement. Les hommes politiques de son école ne s’embarrassent guère de vertu et de vice ; ils les acceptent et s’en servent indifféremment pourvu que le succès couronne l’un ou l’autre ou tous les deux. Pour Burke, il n’y avait pas de politique hors du droit acquis