Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fût leur couleur, tous les habitans de l’empire ; cette fiction, la plus hardie que constitution se soit, sans contredit, jamais permise, a trouvé sa place sous une autre forme dans les nombreux actes constitutifs qu’ont enfantés les révolutions suivantes ; elle est devenue la clause qui interdit la possession du sol aux hommes de race européenne. Aujourd’hui il n’existe plus de population blanche proprement dite dans la partie occidentale de Saint-Domingue ; on n’y compte que des individus qui résident dans les villes, où ils se livrent au commerce, et encore ne le font-ils que sous le nom d’emprunt d’un associé haïtien.

La race métisse ou sang-mêlée. constituait autrefois, dans la partie française de Saint-Domingue, une agrégation qui empruntait une grande force à son homogénéité, et dont ne sauraient donner une idée les affranchis de colonies actuelles. Riche, éclairée, réunissant toutes les conditions qui constituent les classes intermédiaires dont l’intervention est reconnue nécessaire dans le mécanisme des sociétés, cette population, qui ne demandait qu’à s’unir aux blancs, aurait empêché ou arrêté la catastrophe révolutionnaire, si elle n’eût été en quelque sorte détournée de son rôle par la position que lui avaient dès long-temps faite les institutions coloniales. Engagée forcément dans la lutte et forcément irrésolue, elle eut, comme il arrive toujours en pareil cas, à subir les atteintes des deux partis qui occupaient la scène : elle fut décimée par Toussaint, et suivit un moment la route de l’exil qu’avaient ouverte les blancs ; on la vit se répandre dans les îles de l’archipel, et jusqu’en France, d’où ses principaux chefs revinrent en 1802 avec l’expédition du général Leclerc. Depuis cette époque, des chances heureuses ont ramené la race métisse dans la presqu’île du sud-ouest, qui fut toujours le siége de sa force, et l’ont même portée un moment au faîte de l’état. Aujourd’hui, elle est beaucoup plus nombreuse qu’en 1789[1], mais, à de très honorables exceptions près, moins morale et moins éclairée. Le concubinage y est à l’état régulier, et semble avoir revêtu par l’usage cette forme semi-contractuelle que lui reconnaissaient les sociétés antiques. Malgré ce désordre organisé, la race métisse est encore la tête, la partie intelligente de la population, l’élément qui, s’il se laisse féconder, peut servir à la reconstitution sociale du pays.

Les statistiques de l’île évaluent aujourd’hui la population noire de la partie française à 700,000 individus. Bien que ce chiffre nous paraisse exagéré, nous ne répugnons pas à croire, Contrairement à une opinion souvent émise, que le nombre des noirs s’est considérablement accru depuis l’indépendance. Avant cette époque, Saint-Domingue perdait chaque année le vingtième de sa Population noire[2]. L’abolition de la traite dans les colonies qui restent à

  1. Dans les statistiques du pays, on affecte de n’établir aucune distinction entre les métis et les noirs. C’est ce qui nous empêche de préciser rigoureusement le chiffre de la première des deux populations.
  2. C’est un fait qu’avance Moreau de Saint-Méry dans sa Description de la partie espagnole de Saint-Domingue, t. II, p. 214. — Voyez aussi, pour ce qui a trait à nos colonies, Les statistiques officielles du département de la marine.