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de Colomb ne forma plus qu’une seule république. La race africaine avait enfin sa première société organisée. Il semblait qu’une période nouvelle allait s’ouvrir dans l’histoire d’Haïti

Boyer arrivait au pouvoir sous les plus brillans auspices. Deux évènemens heureux ou habilement préparés avaient créé pour lui l’unité territoriale et son autorité constitutionnelle, consolidée par les stipulations de 1825 se trouvait établie sans conteste sur la plus belle terre du Nouveau-Monde. Il était en même temps dans la force et la maturité de l’âge ; l’intimité de Pétion, le mêlant aux affaires, lui avait à la fois révélé la théorie et la pratique du gouvernement de son pays. Le pouvoir n’avait jamais été exercé dans de meilleures conditions ; comment se fait-il que jamais il ne se montra plus inerte ? L’administration du général Boyer fut un long sommeil qu’interrompirent à peine de rares évènemens intérieurs et les négociations entamées avec la France. Cet homme plein de sève, qui semblait devoir tout entreprendre, n’eut pas plutôt assis et affermi son autorité par des violences parfois sanglantes, qu’il sembla ne chercher qu’à se faire oublier, gouvernant au jour le jour, ne montrant de vigueur que pour frapper militairement ceux dont la parole un peu haute eût pu troubler sa léthargie, demandant des ressources aux combinaisons financières les plus bizarres, et laissant à son pays, après vingt-cinq ans de paix, une situation économique tout exceptionnelle. L’âge et l’action énervante du climat firent de cette atonie calculée une sorte de maladie qui malheureusement fut contagieuse, et du chef gagna les agens les plus secondaires de son gouvernement. On comprend quel dut être l’effet de ce relâchement général dans un pays qui, depuis la domination de la race blanche, n’avait secoué un instant son indolence que sous la terrible étreinte de Toussaint et de Christophe. Au moment où, dans les dernières années de l’administration du général Boyer, les publicistes de l’Europe dissertaient gravement sur l’avenir de la société haïtienne, le travail de décomposition qui se poursuivait lentement au sein de cette société avait atteint son dernier terme. Le calme dont l’île paraissait jouir cachait une sourde dissolution. On eut comme la première révélation de cet état critique lors du tremblement de terre qui renversa la florissante ville du Cap, et marqua lugubrement la fin de la présidence du général Boyer. Au milieu de ce grand désastre, en cet instant de solennelle terreur si bien fait pour développer l’instinct de la fraternité, on vit les habitans des campagnes voisines se ruer sur le cadavre de la cité détruite, et, le coutelas au poing, s’en disputer les lambeaux. Le sac de ces ruines dura quinze jours ; le trésor public fut pillé le dixième. Il est triste d’ajouter que la révolution de 1843 vint seule terminer le procès intenté aux principaux fonctionnaires du Cap soupçonnés d’avoir pris part à ces hideuses saturnales.

Tant que Boyer put ; gouverner avec le concours des hommes de sa génération, il disposa de cette force que donne toujours au pouvoir la solidarité établie entre le chef et les fonctionnaires ; mais, à mesure que les années ramenaient