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Les mesures même que prit le gouvernement semblèrent donner crédit aux déclamations des publicistes du Port-au-Prince, qui ne cessaient de montrer la France toujours prête à dévorer son ancienne colonie. Un décret mobilisa la garde nationale, un autre autorisa le président à se mettre à la tête de l’armée, en laissant le pouvoir exécutif aux mains du conseil des secrétaires d’état. Les ports de l’est furent mis en état de blocus ; une commission militaire fut instituée pour juger comme déserteur devant l’ennemi tout individu susceptible de faire partie de l’armée qui, une heure après son départ, ne l’aurait pas rejointe.

Ce fut le 10 mars que l’armée, forte d’environ vingt mille hommes, composée de l’ancienne garde de Boyer et des soldats improvisés par les derniers ordres du jour, se mit en marche, ayant le président à sa tête. Cette troupe, divisée en deux corps, pénétra sur le territoire insurgé par des routes différentes. Le premier marcha sur Neybe ; le second, qu’Hérard commandait en personne, devait aller prendre position à San-Juan. De ces deux points, fort avancés dans les terres, on devait marcher simultanément sur Azua, ville de la côte du sud, peu distante de Santo-Domingo. C’est de ce quartier-général que l’armée expéditionnaire, forte de « trente mille hommes, d’un parc d’artillerie considérable, composé d’obusiers et de pièces de gros calibre, devait aller faire flotter l’étendard de l’indépendance sur la cathédrale de la plus ancienne cité du Nouveau-Monde[1]. » Mais les Dominicains ne l’entendaient pas ainsi. Conduits par un Français nommé Pimentel, vieux soldat de notre ancienne armée, oublié dans l’île et devenu Espagnol, ils battirent et arrêtèrent la première colonne à Neybe. Hérard, qui croyait la trouver rendue à Azua, vint en quelque sorte se heurter contre cette ville. « Dominicains indépendans et libres, » répondit-on au qui vive de son avant-garde, et l’attaque, qu’il ordonna aussitôt, fut soutenue et repoussée avec vigueur. Cependant, le lendemain, les insurgés abandonnèrent la place, et allèrent, suivant leur coutume, se reformer plus loin.

Pendant que le président s’établissait à Azua, où vint bientôt le rejoindre sa première colonne, la fermentation régnait au Port-au-Prince. Hérard-Dumesle, resté dans cette ville comme membre du conseil des secrétaires d’état, devait à la fois faire face aux orages parlementaires et informer son parent de la situation politique, au moyen d’un service d’estafettes établi à grands frais dans ce pays, où les nouvelles n’arrivent souvent d’un point à l’autre

  1. Nous citons la proclamation d’Hérard datée du 15 mars 1843.