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que, si même ils offraient à la France le splendide appât de leur île et se résignaient à un nouveau servage, la France reculerait devant ce contrat désormais impossible. Leurs étranges défiances ne s’appuient donc sur aucun prétexte sérieux. Que les mulâtres d’Haïti sachent étudier la marche de leur époque, qu’ils tâchent d’apprécier sainement la position de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique : alors aussi ils comprendront quelle mission pourrait être réservée, sur leur île, à cette race blanche qui, dans son court passage, l’a semée de ces puissans ouvrages dont leur initiative ne va pas jusqu’à étayer les débris.

Nous croyons superflu d’énumérer les chances de prospérité qu’offrirait à l’île d’Haïti le développement de la population blanche. Il nous suffira de dire qu’une fois l’équilibre rétabli entre les élémens de la société haïtienne, les diverses parties de l’île pourraient ne former qu’une seule république fédérale, et le but si ardemment poursuivi de l’unité territoriale serait définitivement atteint. La race blanche ouvrirait à l’Europe un pays dont elle aurait fécondé le sol et relevé l’industrie. Jusqu’à ce jour, que malheureusement tout semble concourir à retarder, l’Europe a un devoir à remplir, devoir qu’elle saura comprendre, il faut l’espérer : c’est d’user de toute son influence pour paralyser l’effet de ces efforts incessans que la république de l’ouest dirige contre celle de l’est ; c’est d’empêcher le retour d’une nouvelle occupation de la partie orientale plus violemment consommée encore que celle de 1822. Oui, telle est la tâche de l’Europe, et la nation qui l’accomplira en sera un jour largement récompensée. L’état de la république dominicaine a déjà fixé l’attention de l’Angleterre, les États-Unis s’en occupent en ce moment, et tout porte à croire que, si l’Espagne n’était pas à ce point absorbée par sa politique intérieure, elle étendrait une main protectrice sur son ancienne colonie, cette terre qui porte encore les ruines du palais de Colomb. Mais nous croyons qu’aucune nation n’est plus que la France à même d’exercer une influence qui serait d’autant plus efficace et plus désirable, qu’elle serait plus directe et plus pacifique. La France est créancière de la république de l’ouest, qui ne peut la payer, et qui, après toutes les concessions de notre gouvernement, sollicite en ce moment des concessions nouvelles. On se rappelle aussi que la seule présence d’un agent français à Santo-Domingo a suffi pour faire éclater la révolution de l’est. La France, on le voit, n’est pas moins forte vis-à-vis de la république dominicaine que vis-à-vis de la république de l’ouest. C’est à elle surtout qu’il appartient d’intervenir pour couvrir de son influence ceux qu’elle a involontairement entraînés dans la lutte ; c’est à elle en même temps qu’il convient de protéger en ce pays les intérêts de la civilisation européenne, et de rappeler les hommes intelligens du Port-au-Prince au sentiment de leur véritable rôle.


R. LEPELLETIER DE SAINT-REMY.