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en lignes parallèles. Que M. l’abbé de Tepl, qui, en si peu d’années, est parvenu à élever si haut Marienbad, a mieux conçu l’idée d’un bain agréable ! Au lieu d’emprisonner la ville dans le jardin, il a emprisonné le jardin dans la ville. Figurez-vous, monsieur, un vaste abatis dans le milieu d’une forêt séculaire, au confluent de deux petites vallées : dans l’espace ainsi créé, des pelouses, des bouquets d’arbres, des ponts, des corbeilles de fleurs à profusion, puis tout autour, sur la pente naissante des collines, sous les branches toutes chargées de lichen des vieux sapins, un cercle de brillantes maisons, jouissant toutes, non d’une portion de jardin, mais du jardin tout entier, et du spectacle même qu’elles se font l’une à l’autre. Voilà ce qu’il aurait fallu pouvoir, non pas imiter, puisque l’œuvre de M. l’abbé de Tepl n’est que d’hier, mais devancer dans la fondation de Francesbad. Je sais que la disposition des lieux n’aurait jamais permis de produire un si aimable tableau ; mais que l’on se figure cependant la ville posée en demi-cercle sur la pente adoucie qui conduit au ruisseau, l’une de ses branches aboutissant à une noble maison de bains, que l’on aurait bâtie sur la source même de Louise ; l’autre, à un demi-quart de lieue de distance, s’appuyant sur la colonnade de la source Salée ; le milieu comblé d’ombrages, de fleurs, de prairies : sans doute il se présentera à l’esprit une idée tout autrement riante que celle d’un assemblage de rues.

Ce qu’il y a de fâcheux pour Francesbad, je veux le dire tout de suite, c’est que ses environs immédiats n’ont rien de pittoresque. On s’y trouve en pleine montagne, et si bien, malheureusement, qu’on cesse de s’en apercevoir, attendu que l’on repose sur la croupe même du massif. La hauteur générale du pays est d’environ cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer ; mais c’est ce que le baromètre seul a le talent de sentir et de faire connaître. Sans lui, on se jugerait plutôt dans une grande plaine coupée çà et là par quelques collines : fausses collines, qui, vues de la Basse-Allemagne, deviennent de hautes crêtes de montagnes. Toutefois, pourvu que l’on consente à s’éloigner un peu, la contrée ne tarde pas à offrir plus d’agrément. On est donc réduit i s’en prendre aux eaux, qui ont mal choisi leur issue. Si, au lieu de prendre passage, comme elles l’ont fait, au nord du volcan, elles étaient sorties, soit au sud, soit à l’ouest, on se serait vu dans une vallée charmante, encaissée dans de riches escarpemens de gneiss et de granite, qui s’élancent du milieu des plus beaux pins du monde, en se réfléchissant dans des eaux tantôt dormantes, tantôt rapides et brisées. C’est la vallée de l’Eger, située à une lieue seulement de Francesbad, et dans laquelle, grace à la proximité, on conserve du moins droit de promenade. On en jouit même d’autant mieux, que le contraste avec la nudité du plateau le fait valoir davantage. Ne craignez pas, monsieur, que je vous fasse ici la description des autres lieux consacrés : je vous réduirais trop aisément à crier merci. Il y a cependant une promenade d’un genre unique dont je ne puis me dispenser de vous dire quelques mots. C’est à la munificence de M. le comte Sternberg, l’un des paléontologistes les plus éminens de notre temps,