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souvent un inconvénient dont il importe, surtout en médecine, de se garantir : c’est d’éblouir et de séduire. Toutefois, Francesbad, comme vous le voyez, monsieur, ne doit pas faire trop de plaintes, puisqu’il lui reste une part fort convenable. La mode des secondes cures qui lui amène, à la fin de la saison, une partie des malades de Carlsbad et même de Marienbad, un instant combattue, au grand scandale des médecins les plus distingués de l’Allemagne, par l’effet des rivalités locales, semble dès aujourd’hui reprendre faveur. Ces eaux, d’une vertu si vive, remédient, en effet, d’une manière extraordinaire à l’abattement physique et moral qui n’est que trop souvent le résultat des eaux trop alcalines. Je regrette bien, monsieur, d’avoir si peu de disposition à parler médecine, car je sens que ce serait ici le lieu de m’étendre sur le tableau de toutes les maladies qui sont du ressort de Francesbad. Je nie bornerai à dire, en abrégé, qu’on en distingue quatre classes principales : les affections du système nerveux, dont la cause première est une faiblesse réelle (asthenia directa et indirecta) ; celles du système sanguin provenant de quelque défaut dans l’élaboration du sang ; mieux encore les affections cru système muqueux, principalement du système intestinal ; enfin, par une spécialité dont rien n’approche, les maladies si variées et si fréquentes du système de la reproduction. « On devrait, me disait le médecin des eaux que j’interrogeais sur le caractère propre de Francesbad, nommer cet endroit-ci le Bain des dames. » Le fait est que, pour toutes les autres maladies que je viens de mentionner, on trouverait peut-être aussi bien guérison, selon le tempérament particulier des individus, dans les autres eaux de la Bohême dont, en définitive, la composition générale, comme je vous l’ai marqué, revient toujours à peu près au même ; mais, pour tant de dérangemens de santé qui précèdent ou suivent la maternité, c’est à Francesbad qu’il faut venir. Que de jeunes femmes j’y ai vu arriver tristes, courbées, décolorées, traînant douloureusement leurs pas débiles, qui, après quinze jours, commençaient à se redresser, à marcher gaiement, à nous étonner tous par le coloris brillant de leur visage ! Que n’avons-nous, monsieur, à portée de Paris de telles eaux ! Nulle part, ce semble, elle ne seraient mieux placées. Que de santés déplorablement atteintes dans la fleur même des ans, et qui semblent frappées ici d’une irrémédiable langueur, s’y relèveraient en une saison comme par enchantement ! En considérant les merveilleux effets de Francesbad sur tant de belles personnes étrangères, je ne pouvais m’empêcher de songer à tant de dames de mon pays, non moins dignes d’intérêt et de compassion, qui, dans ces mêmes sources, auraient pu retrouver le bonheur de leur famille et le leur, et c’est là en partie, je vous l’avoue, monsieur, ce qui m’a décidé à prendre la plume pour essayer d’attirer sur Francesbad l’attention de vos lecteurs.

En effet, il n’y a pas à se faire de monstres de la Bohême, ni à se la représenter vaguement au bout du monde, comme Shakspeare, qui, dans je ne sais quelle comédie, y fait aborder son personnage sur un vaisseau. Il n’y a, pour ainsi dire, pas plus loin d’ici à Francesbad que d’ici aux Pyrénées. En quarante-huit heures on est à Francfort, et encore quarante heures