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Yon était bien nouveau dans le grade de lieutenant-général ; on l’a même fait ministre sans qu’il fût membre de l’une ou l’autre chambre, et on lui a donné la pairie le même jour que le portefeuille. Peut-être, au sein de la chambre des pairs, le procédé sera-t-il tenu pour cavalier ; ce n’est pas, au surplus, la première fois que le cabinet aura blessé la pairie. Tout s’est donc aplani devant M. de Saint-Yon. Enfin, pour couronner tant de bonheur, cette élévation si soudaine n’a pas soulevé de tempête. À ceux qui se sont enquis des antécédens de M. le général Saint-Yon, ses amis ont répondu que c’était un bon administrateur, et qu’il s’était acquitté avec distinction de quelques missions quasi diplomatiques. C’est seulement en présence des chambres qu’il sera possible d’apprécier le nouveau ministre.

Maintenant, quelle sera l’attitude de M. le maréchal Soult devant le parlement ? Il n’aura plus désormais à défendre son administration comme chef du département de la guerre, et sans doute il ne se propose pas de faire son début dans les questions de politique générale. Il est permis de penser que le rôle singulier auquel se prête aujourd’hui M. le duc de Dalmatie le fatiguera bientôt, et que dans deux ou trois mois les circonstances poseront de nouveau la question de la présidence du conseil, question qui n’a pas été résolue, mais éludée. Puisque l’évènement a prouvé que, lorsque M. le maréchal Soult parlait de son dégoût des affaires, son langage était sérieux, pourquoi ses collègues n’ont-ils pas pris une résolution vraiment politique ? D’ici à quelques semaines, la tribune sera rouverte ; alors la meilleure sauvegarde du cabinet sera dans le talent, dans la parole de M. le ministre des affaires étrangères. N’était-il pas naturel que l’homme qui caractérise la politique dit cabinet en eût enfin la présidence ? Ce n’était pas tant à M. Guizot de la briguer qu’à ses collègues de la lui déférer ; c’eût été là un acte de courage qui eût mis tout le monde, le ministère comme l’opposition, dans une situation vraie. Il serait étrange que M. Guizot eût trouvé à ce sujet, chez quelques-uns de ses collègues, non-seulement une grande froideur, mais l’intention marquée de l’écarter d’un honneur qui doit lui revenir forcément, quoi qu’on ait fait pour l’en priver. Peut-être a-t-il pu reconnaître cette pensée dans certains avis officieux qu’on ne lui a pas épargnés sur les dangers de la présidence. Ces avis, venus d’hommes qu’il a pris par la main pour les faire monter avec lui au pouvoir, ont pu amener sur ses lèvres un amer sourire. M. Guizot n’a-t-il pas le droit, en effet, de s’étonner de la prudence de ses collègues ?

Nous touchons ce point avec d’autant plus de franchise que nous ne sommes point les apologistes de la politique de M. le ministre des affaires étrangères ; nous ne sommes ici préoccupés que de la vérité des choses. Le pouvoir a tout à gagner à se faire représenter en première ligne par les hommes supérieurs. La couronne a été vivement contrariée par la retraite de M. le maréchal Soult comme ministre de la guerre. Le premier considérant de l’ordonnance en vertu de laquelle M. le duc de Dalmatie conserve la présidence du conseil énonçait seulement la retraite du maréchal Soult comme ministre de la guerre ;