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marqué de son empreinte chacun de ces paisibles récits. La vie de famille a rarement été décrite, sinon avec plus de vigueur et d’élévation, du moins avec plus de franchise et de vivacité piquante. Pourtant ces qualités ne sont pas de celles qui entraînent toujours les sympathies populaires. Ce qui a valu surtout à Mlle Bremer de nombreux lecteurs, c’est moins son talent que la direction même qu’elle a su lui donner. À une époque d’indécision, de tâtonnemens, d’essais plus ou moins téméraires, on doit féliciter l’écrivain qui reste fidèle au culte des ancêtres et à la vieille tendance du génie national. Il est arrivé à Mlle Bremer ce qui arrive à plus d’un talent naïf et délicat égaré au milieu des révolutions littéraires : elle est revenue d’instinct aux routes que de plus ambitieux désertaient, aux autels qu’ils avaient cru détruire ; elle pensait marcher seule, et la foule l’a suivie. Dans les littératures septentrionales, le roman a été de tout temps l’épopée de la vie domestique. On ne saurait impunément changer ce caractère, élargir ce cadre. Plus d’un effort stérile l’a prouvé au-delà du Rhin : jamais le roman n’y a tant couru les aventures, et jamais il n’a eu de plus fâcheux hasards. Le mérite de Mlle Bremer, ç’a été de rencontrer du premier coup la bonne veine, le filon inépuisable qu’on avait dédaigné, cette inspiration bienfaisante que donne seule la paix du foyer, et qui sera toujours chère aux hommes du Nord. Le romancier était d’accord cette fois avec la société calme et pieuse tour laquelle il écrivait. Faut-il s’étonner que d’unanimes hommages aient salué ses efforts ?

Il y a dans les littératures septentrionales toute une famille d’écrivains bien distincte : ce sont les peintres de la vie domestique, les rapsodes naïfs et charmans de la ferme et du presbytère. Cette famille littéraire, qui atteint son expression la plus élevée par Crabbe en Angleterre, par Voss en Allemagne, a pour représentans secondaires des romanciers nombreux et très recommandables, dont le dernier venu, et non pas le moins distingué à coup sûr, est Mlle Frédérique Bremer. L’auteur des Voisins vient renouer la tradition, reprendre le thème un peu oublié, au moment même on le genre qu’elle adopte s’altère et dépérit sous mille influences contraires. En Allemagne surtout, malgré quelques efforts dignes d’estime, la muse domestique semble en ce moment condamnée au silence, la fièvre des esprits a passé dans la société même, et l’humble rameau qu’a planté Hoelty perd chaque jour une de ses feuilles. Le succès qui s’attache aux doux récits venus de la Suède a tout le piquant d’une réaction. C’est un dernier retour à ce monde honnête et sérieux dont la physionomie va s’effaçant, et dont les mœurs patriarcales ne se retrouvent plus guère que dans quelques oasis épars, le long des lacs de Suède ou des forêts de Finlande. Il y a là un charme de ressouvenir qu’on ne saurait comprendre en France. Ce qui peut nous séduire au contraire dans ces romans, c’est la nouveauté même des tableaux évoqués par l’aimable conteur, c’est le contraste de cette vie tranquille avec notre bruit et nos inquiétudes. Par là ils doivent nous plaire, par là même ils nous