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dents blanches souillées de son propre sang ; des floricans, des perdrix noires par douzaines. La plus belle dépouille, sans comparaison, était celle d’un magnifique tigre royal, depuis long-temps la terreur du canton. Enfin, les éléphans, mouvantes citadelles, fermaient la marche, portant l’élite des chasseurs dans des pavillons de couleurs éclatantes.

Dans cette vaste plaine, le cortège se développait sans rencontrer aucun obstacle. Bien loin, vers la gauche, se déroulaient les méandres de la Djoumna, glissant à travers le terrain brûlé comme un serpent fauve ; plus près, sur la ligne même que l’on suivait, se présentait un petit bouquet d’arbres, oasis dans le désert ; à travers les feuilles, on pouvait distinguer quelques ruines et le sommet pyramidal d’une pagode surmontée d’un petit drapeau rouge au bout d’une perche. C’était l’endroit où, à l’ombre d’un épais figuier de l’espèce des multiplians, le groupe de voyageurs dont nous avons parlé attendait impatiemment le sawarrie de la princesse.

L’immense cavalcade s’avançait comme si elle devait écraser dans sa course le petit temple et ses berceaux de verdure ; mais une partie seulement s’écoula à travers les arbres, tandis que le reste, se divisant comme un torrent, déborda au loin, à droite et à gauche. Un éléphant, le front peint des plus vives couleurs, une couronne d’or sur la tête et une palme d’or serpentant comme le dessin d’un châle tout le long de sa trompe, parut enfin et suivit le sentier. Des gardes à pied couraient à côté, le fusil à mèche sur le dos, le sabre à la main, le bouclier sur le bras. Un petit pavillon chinois, cramoisi et or, s’élevait sur le dos de l’énorme animal, qui ne portait, outre son cornac, que deux jeunes femmes. L’une d’elles était assise les jambes croisées ; un fusil reposait sur ses genoux. L’autre, élevée sur des coussins, tenait un parasol au-dessus de la tête de sa maîtresse. La première était la reine de Sardannah, l’héritière et l’autocrate d’un royaume dans le Haut-Hindoustan, composé de quelques fragmens détachés de l’empire mogol, et situé à quelques lieues seulement au nord de Delhi. Elle était accompagnée de sa suivante favorite, la belle Ayesha.

La princesse venait de s’incliner religieusement devant la statue d’Hanouman, le singe héroïque et divin, grossièrement sculptée sous le péristyle de la petite pagode, quand ses regards s’arrêtèrent sur la belle figure de l’officier français, qui se tenait immobile au bord de la route. Une exclamation de surprise et de terreur lui échappa aussitôt ; avec la fougue et l’énergie d’une amazone, elle arma son fusil