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en plusieurs tresses, dans chacune desquelles on avait enlacé des fleurs blanches de jasmin, dont le parfum, quelque peu fatigant pour des nerfs européens, est en grande faveur auprès des jeunes filles de l’Hindoustan. Le front, le nez, le cou, les oreilles et les bras étaient chargés d’or travaillé de mille manières. Autour des chevilles, au contraire, et aux doigts de ses pieds délicats, c’étaient des chaînes et des anneaux d’argent, le plus précieux métal ne devant point être profané au service des membres que la superstition a proclamés ignobles. Enfin les suivantes chargées de parer la reine n’avaient oublié ni la frange de collyre autour des yeux, ce qui leur donne un si vif éclat, ni la teinte d’incarnat au bout des doigts et à la plante des pieds. Dans un coin de la tente, on apercevait les babouches, pantoufles brodées en paillettes, à hauts talons rouges et à pointes recourbées, et, sur un tapis, à portée de la main, un petit narghilé d’argent délicieusement ciselé, d’où s’échappaient les parfums de l’essence de rose et des tabacs les plus exquis de la Perse.

Au moment où la suivante soulevait le rideau pour introduire l’Européen, la jeune reine, par un mouvement spontané de pudeur, jeta sur ses épaules un immense voile de gaze couleur de rose avec une bordure et de larges franges d’argent.

— Asseyez-vous, saheb bahader (seigneur chevalier), dit-elle à Sombre après qu’il eut présenté les salutations d’usage. Il est nécessaire que nous causions un peu à loisir, afin de bien nous entendre. Je crois que nous nous connaissons déjà, et ce n’est pas la première fois que la destinée nous a placés l’un vis-à-vis de l’autre. Votre nom, si je ne me trompe, est Sombre, et vous serviez les Mahrattes.

— Ma destinée, répondit l’aventurier, m’a déjà accordé une fois l’honneur d’entrevoir une grande princesse, aussi intrépide que Rama, aussi belle que Leila. Mon cœur s’est glacé d’effroi en la voyant s’élancer sur le champ de bataille ; depuis ce temps, il a palpité d’amour au souvenir de ses charmes. Quant aux Mahrattes, ce sont d’infames voleurs ; qu’on me donne une armée, et je les exterminerai !

— En vérité ! brave chevalier, est-ce là ton langage ? Il est agréable à mes oreilles, et je veux le croire sincère. Dès-lors tu es à moi, prends la moitié de ma puissance et défends ma couronne. Tu m’as fait perdre une province, tu m’en donneras dix. Je veux que tu instruises mes soldats dans l’art de la guerre, que tu les conduises sur le chemin de l’honneur ; je leur apprendrai à t’y suivre.

— Dès ce jour, répondit Sombre, j’appartiens sans doute à votre majesté, mais je ne vaux plus rien pour la guerre. Que ferez-vous d’un