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le rang-mahal ou la galerie peinte, le séjour spécialement consacré aux femmes. Encore un pas, et nous sommes dans le salon principal, dans le salon de la reine, où se trouve un divan, immense canapé imitant un char de triomphe, monté sur des roues avec un joug et un timon. Les roues, le timon, le joug, sont en laque du plus beau poli, tout bariolé de peintures représentant des chevaux, des paons, des oiseaux fantastiques. Le canapé est recouvert de velours cramoisi avec une bordure d’or. Le bois, richement sculpté, porte des incrustations de cornaline, d’agathe, d’émeraude et de rubis. La reine, mollement étendue sur le canapé, est aisément reconnaissable à sa beauté ravissante comme à sa riche parure. Assise à ses pieds, les jambes croisées, Ayesha porte un costume peu attrayant, qui consiste en une simple camisole de mousseline blanche et un pantalon large d’en haut, mais collant depuis le genou jusqu’à la cheville. Elle agite un éventail sur la tête de sa maîtresse.

— Ayesha, ma petite sœur, disait la princesse d’une voix languissante, ne peux-tu rien trouver pour me distraire ? Raconte-moi quelque histoire d’amour.

— Hélas ! ma chère maîtresse, quand je vous parle de Leila et de Majnoun, vous ne m’écoutez pas : vos idées sont ailleurs.

— C’est que je sais toutes ces histoires par cœur. Pour me tirer de cette odieuse léthargie, et me faire oublier cette chaleur accablante, il faudrait d’autres récits que ceux dont on berçait mon enfance.

— Ce serait en vain, dit la suivante en secouant la tête, que je connaîtrais toutes les histoires du kissago (le conteur ambulant). Le cœur de ma souveraine est bien loin ; il est près de son mari. Qu’est-ce qu’une femme sans son époux ? c’est un corps sans ame. L’amant est le nour e chashm (la lumière des yeux) de sa maîtresse. Le saheb vous écrit cependant qu’il ne tardera pas à revenir.

— Non, non, ma fille, il ne doit pas encore y songer. Nos intérêts demandent sa présence sur la frontière, et pourraient souffrir de son retour. Ne parlons pas de mon époux, Ayesha, c’est un sujet trop douloureux. C’est à peine s’il reviendra avec les pluies. — Que me disais-tu ce matin du chevalier Dyce ?

— Ma souveraine me faisait remarquer, je crois, que c’était un cavalier accompli.

— Quel âge a le chevalier ?

— Peut-être vingt-quatre ans.

— Parlons en confidence. Dit-on qu’il ait vu quelque danseuse depuis son arrivée ? A-t-il admis quelque femme dans son zenana ?