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et, l’exhalant lentement du bout de ses lèvres demi-closes, contempla quelque temps son amant avec un sourire de dégoût ineffable ; puis, sans s’inquiéter davantage de ce malheureux, elle renversa sa tête sur ses coussins et s’endormit profondément.

Le lendemain, Dyce avait disparu. A peine revenu de son évanouissement, il s’était levé sans bruit et s’était dirigé vers les écuries du château. Il avait sellé lui-même son cheval et pris la route de Delhi, alors au pouvoir des Mahrattes. Après y avoir reçu quelques jours l’hospitalité de l’officier français qui commandait pour Scindiah, il se dirigea sur Calcutta, où l’on ne dit pas comment il fut accueilli. On sait seulement qu’il ne tarda pas à s’embarquer pour l’Europe, où, pendant une longue suite d’années, on n’entendit plus parler de lui

Quant à la begom, sans faire une seule question sur la fuite de Dyce, elle rentra le jour même dans son palais, puis elle gouverna quelque temps encore avec la vigueur de la jeunesse, mais en consacrant à des pratiques religieuses de plus en plus sévères tout le temps qu’elle n’était pas obligée de donner aux affaires. Voulant enfin se débarrasser de tout souci mondain, et prévoyant aussi, sans doute, les destinées inévitables de l’Inde, elle se décida à accepter le traité que Dyce avait autrefois soumis à sa signature, et qu’on ne manqua pas d’intermédiaires pour lui proposer. Elle légua, à sa mort, l’état de Sardannah à la compagnie anglaise, à la condition que cette société assurerait à son enfant une somme considérable outre les trésors et les propriétés mobilières qu’elle pourrait lui laisser. A partir de ce moment, le reste de sa vie n’offre plus rien de remarquable, et l’histoire n’en a recueilli que la date de sa mort, arrivée en janvier 1836. La begom repose à côté de son époux, à la place qu’elle s’était préparée dans la chapelle catholique dont nous avons déjà parlé, et à laquelle elle a rattaché un couvent qui est aujourd’hui l’un des plus richement dotés de l’Inde. Depuis ce temps, ses états ont été enclavés sans secousse dans le domaine hindo-britannique.

La fin de Dyce devait être digne de sa vie. Apprenant en Angleterre la mort de sa royale maîtresse, il accourut à Calcutta pour disputer à son propre fils une partie de l’héritage de la begom. Devant un tribunal gouverné par les préjugés coloniaux, l’Européen ne doutait pas de l’emporter sur le mulâtre ; mais, comme on informait déjà le procès, dix-huit jours après son arrivée, il fut pris du choléra qui désolait alors la capitale de l’Inde anglaise, et il mourut victime de son avarice et d’une dernière infamie.