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faut alors au contraire ranimer autant que possible la curiosité qui s’éteint en lui promettant de nouvelles surprises ; et comment la mieux réveiller que par une traversée au milieu des villes principales de la Turquie d’Europe, une halte en Hongrie, à Pest, la plus voluptueuse des villes, un séjour à Vienne, la plus joyeuse des capitales, et un coup d’œil sur la verte Allemagne ? Cet itinéraire, que venait d’ouvrir l’organisation récente encore des bateaux à vapeur du Danube, complétait à merveille, ce me semblait, mon voyage en Orient. Je m’embarquai donc un jour sur la Maria-Dorotia, paquebot autrichien de 70 chevaux qui partait pour Kustendjé, petit port de la mer Noire. La voie de Kustendjé a, sur celle de Galacz, situé, comme on sait, auprès de l’embouchure du Danube, l’avantage d’être de quatre jours plus rapide.

La Maria-Dorotia leva l’ancre vers midi, et nous longeâmes une dernière fois les rives enchantées du Bosphore. A la hauteur du château d’Europe, un spectacle nouveau nous attendait ; c’était un de ces incendies si fréquens à Constantinople. Dans le pli d’une vallée entourée d’arbres fleuris, un de ces jolis villages roses qui bordent le Bosphore était la proie des flammes. Ses petites maisons à grands toits nous apparaissaient par momens s’effondrant au milieu des jets de flammes et d’un tourbillon de fumée noire. Une population nombreuse s’agitait en vociférant, et j’eus occasion de remarquer que les Turcs avaient beaucoup perdu de leur antique résignation. Il y a peu d’années encore, quand le feu dévorait leurs demeures, il les regardaient briller paisiblement, en répétant, pour toute consolation, leur grand mot : C’est écrit ! et ils ne cherchaient pas à prévenir un malheur que leur infligeait la Providence ; maintenant, au contraire, les jours d’incendie, une grande agitation règne à Constantinople ; on va se répétant dans les rues la sinistre nouvelle, des Turcs accourent tenant en main des cylindres de cuivre qui ressemblent beaucoup plus aux instrumens des pharmaciens de Molière qu’à des pompes, les Européens donnent l’exemple du courage, et, si les secours ne sont pas toujours efficaces, ils sont du moins fort actifs.

Notre bateau nous éloigna bientôt de cette scène de désolation, et, au bout de quelques minutes, cet incendie, qui ruinait peut-être vingt familles, n’était plus pour nous qu’un nuage épais de fumée qui planait sous le ciel transparent. A la hauteur de Bukuk-deré, un long caïque rempli de femmes turques hermétiquement voilées et de cavas bien armés vint accoster la Maria-Dorotia. Ces dames voulaient absolument monter à bord ; le commandant s’y refusa. Elles supplièrent,