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ques et religieuses qui ont agité l’Allemagne jusqu’en 1648, et elle a disparu devant la paix et la prospérité. La première moitié du XVIIe siècle compte sept épidémies, la seconde cinq seulement. C’est beaucoup encore ; mais le bien-être des masses ne s’établit pas en un jour, les améliorations ne se font qu’à la longue, et les coutumes anciennes ne s’éteignent qu’avec les générations qui les ont pratiquées.

En Espagne, on compte soixante-cinq pestes. Pendant la domination romaine, les historiens qui célèbrent, comme on sait, la richesse et la salubrité de la presqu’île ibérique, ne font mention d’aucune épidémie. Ravagée au Ve siècle par les Alains et les Vandales, l’Espagne fut conquise au VIIe par les Visigoths. La peste apparaît deux fois (443-589), puis elle s’enfuit devant la civilisation arabe. De 712 jusqu’à 1345 (six siècles), on ne compte que deux pestes, qui l’une et l’autre éclatèrent à Cordoue ; encore ne sait-on pas si ces deux épidémies, fort bien décrites par les médecins arabes, qui n’en mentionnent pas d’autres, étaient réellement la peste. On sait combien l’Espagne était florissante alors ; elle avait, assure-t-on, près de trente millions d’habitans. Plus tard, la découverte de l’Amérique dépeupla l’Espagne ; on se précipita vers ces contrées, où l’on espérait récolter l’or à pleines mains ; les bras manquèrent à l’agriculture, les terres restèrent en friche, les marais devinrent pestilentiels, et l’on compta en quatre siècles quarante-quatre épidémies. Dans le XVIIe siècle enfin eut lieu une réaction ; la population rentra ou augmenta, et la peste disparut.

A part la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, on ne sait guère ce qui se passa dans le reste de l’Europe. Les pays du nord, et même la Russie, n’ont tenu aucun compte de leurs épidémies. C’en est assez d’ailleurs pour indiquer et, jusqu’à un certain point, prouver que le bien-être et la prospérité publique sont des moyens plus sûrs d’écarter le fléau que les mesures sanitaires. On n’en doutera plus si l’on interroge l’histoire au sujet de l’efficacité des lazarets.

Dans l’antiquité et jusqu’au XIVe siècle, on ne s’était pas douté, nous l’avons dit, de la contagion de la peste. Hippocrate, Galien, les médecins grecs ou arabes, n’en eurent pas soupçon ; ce fut vers 1380 que naquit cette opinion, à laquelle le concile de Trente donna, deux siècles plus tard, une autorité définitive en déclarant la peste contagieuse. Quel était, au XIVe et au XVe siècles, l’état de la médecine et des sciences d’observation ? Quelle idée pouvait-on se faire alors du mal, du remède, des garanties, des moyens prophylactiques ? On