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— Je vais vous chercher, cousine, n’ayez pas peur… lui cria Anastasie.

En effet, la courageuse fille franchit quelques marches, mais le cœur lui manqua lorsqu’elle vit l’abîme sous ses pieds, et, s’appuyant contre le mur, elle jeta aussi des cris de détresse.

Gaston l’avait entendue cette fois. Une minute après, il arriva haletant sur le palier. Saisissant sa sœur d’une main, il la fit asseoir par terre ; puis d’un rapide élan il gravit le périlleux escalier. Éléonore était affaissée contre le parapet ; il la prit dans ses bras et la serra contre sa poitrine en lui disant : — Vous avez le vertige… fermez les yeux… Puis il descendit résolument et la déposa sur le palier à côté d’Anastasie. La jeune fille demeura un moment comme étourdie ; elle était pâle, et ne répondait pas à sa cousine, qui l’appelait et l’embrassait en versant des larmes. Gaston la considérait tout ému et gardait le silence. Sortant enfin de sa stupeur, Mlle Maragnon se jeta dans les bras d’Anastasie ; puis elle se tourna vivement vers le cadet de Colobrières et l’embrassa avec effusion en s’écriant : — Mon bon cousin, oh ! comme ma mère va vous aimer, quand elle saura ce que vous avez fait là !

Ce mouvement naïf et spontané de reconnaissance produisit sur Gaston à peu près le même effet que la vue des noires profondeurs de la tour sur Éléonore ; il changea de visage, détourna la vue, et répondit d’une voix étranglée : — Ma cousine, c’est tout simple, tout naturel, ce que je viens de faire.

— Vous avez risqué votre vie pour me venir chercher là-haut ! dit Éléonore avec feu.

Gaston se souvint en ce moment du trajet périlleux qu’il avait fait la veille pour aller à la conquête d’une douzaine d’œufs, et il murmura avec un soupir et un faible sourire : — Parfois j’ai risqué ma vie pour un moindre intérêt.

Il s’avança de nouveau vers l’escalier, et, voulant déguiser du moins le trouble qu’il ne pouvait encore surmonter, il affecta de considérer avec attention les dégâts que le dernier orage avait causés dans le donjon.

— Quel désastre ! dit-il en regardant en bas ; tous les planchers sont effondrés, et les charpentes se sont affaissées sur la voûte du rez-de-chaussée ; c’est fini ; la salle des chevaliers, celle des archives, celle du trésor, n’existent plus !

— Heureusement elles étaient vides, observa naïvement Anastasie.

— Il est inutile d’apprendre à mon père cet événement, continua Gaston ; jamais il ne vient ici. Il ne saura pas que le donjon n’a plus