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appela les domestiques. Le vieux Tonin se tenait respectueusement à portée de la suivre au premier commandement ; la Rousse avait couru dehors, et, arrêtée devant le château, elle cherchait Gaston d’un regard inquiet. Elle l’aperçut enfin.

M. le chevalier est déjà là-bas, dans le chemin, dit-elle en revenant sur ses pas ; il marche d’un train à arriver le premier.

— Allons ; moi non plus, je ne veux pas être des dernières à l’église, dit la baronne.

Elle embrassa encore une fois sa nièce, et s’en alla, suivie de Tonin et de la Rousse, endimanchés tous deux et marchant la tête haute, comme des domestiques de bonne maison en grande livrée.

Les deux jeunes filles, restées seules dans la salle, se regardèrent en souriant, et Anastasie dit avec gaieté :

— Nous voilà souveraines maîtresses ici ; nous commandons, pour le moment, dans toute l’étendue du domaine de Colobrières. Voyons, qu’allons-nous faire ? D’abord, cousine, vous allez demeurer en repos au fond de ce grand fauteuil, tandis que je donnerai du grain à mes oisillons et que j’arroserai mes fleurs ; ensuite nous prendrons notre café, un bon petit café de poix chiches grillés, que la Rousse fait à merveille, et que nous sucrons avec le miel de nos ruches. Il est excellent ; vous verrez.

— Il sera parfait, répondit Éléonore du même air de contentement et de douce gaieté.

Pourtant les larmes lui vinrent aux yeux ; elle entrevoyait vaguement cette étroite pauvreté qui obligeait le châtelain de Colobrières à remplacer le moka par un légume indigène et le sucre des colonies par le produit de ses abeilles.

Anastasie ouvrit la cage d’osier où sautillaient ses verdiers et ses chardonnerets ; puis elle les fit sortir l’un après l’autre, en les appelant par leur nom. Les petits oiseaux s’éparpillèrent joyeusement sur l’embrasure de la fenêtre, et becquetèrent le grain que la jeune fille leur avait jeté. Un moment après, elle les rappela, et ils rentrèrent docilement dans leur prison.

— Ils sont bien gentils, dit Éléonore ; mais ne croyez-vous pas qu’ils seraient plus heureux dans les champs ? À votre place, je leur donnerais la volée. Ah ! cousine, comme ils s’en iraient joyeusement !

— Point du tout. J’ai essayé, répondit Anastasie ; je les ai renvoyés, je les ai chassés ; ils sont restés toute la journée dehors, et le soir ils sont revenus voleter autour de leur cage, et ils ont voulu y rentrer. Cela m’a fait faire de grandes réflexions et consolée d’un grand chagrin.