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où flambaient des branches d’olivier ; j’ai si grand froid, que j’en tremble. Mais dites donc, meste Tiste, ajouta-t-elle en tournant les yeux vers le chemin, il me semble que j’ai vu là-bas mon jeune maître et Mlle Anastasie en compagnie d’autres personnes.

— Tu ne t’es pas trompée, ma filleule, répondit le paysan ; je les ai rencontrés d’autres fois ainsi. Il paraît que M. le baron refait amitié avec sa sœur, puisque leurs enfans vont ensemble. L’on parle même dans le pays d’un mariage. Tu dois savoir cela déjà, la Rousse ?

— Je ne sais rien…. Tout cela n’est pas vrai ; on le verra…. on le verra bientôt, répondit-elle d’un ton bref. Un Colobrières épouser une Maragnon !

— Tiens ! fit le paysan, pourquoi pas ? L’on sait bien que déjà un Maragnon a épousé une Colobrières, et cette fois je crois qu’on pourrait bien voir un double mariage.

— Oui, mon parrain, quand vous vous serez fait faire un habit de velours pour danser à la noce ! répliqua la Rousse avec un dédain ironique et furieux.

— Je te le répète, reprit flegmatiquement le vieux paysan, on dit dans le pays que les Colobrières marieront leurs parchemins avec les sacs d’écus des Maragnon ; ce serait la meilleure affaire que le vieux baron eût conclue de sa vie.

En retournant au château, la Rousse repassa dans sa mémoire une foule de circonstances qui semblaient prouver évidemment que le cadet de Colobrières et sa sœur attachaient un grand prix à ces relations, dont ils faisaient mystère à leur père. Elle devina, avec sa finesse de fille amoureuse et de paysanne, que la baronne était la confidente et la complice de ses enfans ; l’instinct de sa propre passion lui dévoila celle de Gaston, et jalouse, désolée, furieuse, elle résolut d’avertir le baron de ce qui se passait dans la famille.

Tandis que la Rousse cheminait tout éperdue vers le château, et, dans sa préoccupation, répétait à haute voix tout ce qu’elle allait déclarer au baron, les jeunes gens gravissaient joyeusement la ceinture de rochers qui entourait l’Enclos du Chevrier. Cette journée fut peut-être la plus heureuse et la plus douce de toutes celles qu’ils avaient passées ensemble. Ils en étaient arrivés aux plus belles pages du livre de la vie humaine, ces pages charmantes où sont écrits les transports, les chastes élans d’un cœur qui n’aspire point encore à la réalité, d’une ame qui désire sans souffrance et qui rêve l’amour qu’elle ressent.

Il avait fallu laisser Mlle Irène au pied du rocher entre sa monture et Lambin, qui, sur un signe de son maître, s’était mis en sentinelle