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afin de combler, au besoin, le déficit de la production locale. Voilà le fonds commun de toutes ces théories, l’idée mère à laquelle elles se rattachent, idée simple, en effet, à l’entraînement de laquelle on ne résiste pas. Comme il arrive toujours néanmoins que, malgré l’application de ce système, disons mieux, à cause de cela même, les disettes reviennent périodiquement affliger les peuples, on se trouve souvent conduit à adopter des mesures plus graves, dont voici le rigoureux enchaînement. Pour remédier au mal présent, on réglemente, on entrave le commerce, et, par une conséquence forcée de ces dispositions fâcheuses, le mal s’aggrave : la denrée devient rare sur les marchés, et les prix s’élèvent. Alors on entreprend de limiter, de fixer même les prix ; autre erreur, qui entraîne une nouvelle aggravation du mal, d’où naît une situation déjà pleine de périls et d’angoisses, car, à la suite d’une telle mesure, la denrée, qui n’était que chère, disparaît, et la vente cesse. Pour remplir le vide qui se manifeste, on s’avise alors de faire soi-même des achats au dehors, au moyen desquels on prétend faire concurrence aux détenteurs, et les ramener forcément sur les marchés ; enfin, pour combler la mesure de ces erreurs fatales, on arrive quelquefois jusqu’à faire au peuple, pour le compte de l’état, des distributions gratuites. Tel est le cercle inévitable. L’expédient des distributions gratuites est, au reste, le dernier, et clôt, pour ainsi dire, la série. Arrivé à ce point, tout gouvernement s’arrête, soit en raison de la violence même du désordre qu’il a causé, soit par impuissance, car cet expédient n’est pas de ceux qui puissent se soutenir long-temps sans épuiser les finances publiques. Il n’y a même dans l’histoire qu’un seul exemple de semblables distributions faites avec quelque persévérance et quelque suite on le trouve à Rome, dans les derniers temps de la république et à la naissance de l’empire. C’est que, pour suivre long-temps cette politique ruineuse, il fallait pouvoir, comme le sénat romain, consacrer à l’approvisionnement d’une seule ville avec ses dépendances les tributs de cent peuples divers et les dépouilles du monde.

Si nous avions à signaler l’erreur première dont toutes ces fausses théories dérivent, nous montrerions qu’elle consiste surtout à vouloir en toutes choses substituer ce qu’on appelle la sagesse du législateur à la prévoyance du commerce, prévoyance qui, dans la sphère où elle s’exerce, est bien supérieure à celle des lois. Sans nous arrêter toutefois à ces considérations générales, nous nous bornerons à montrer, avec la double autorité de la raison et des faits, qu’on se trompe