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et verse au dehors son superflu. Par là, comme les récoltes ne manquent jamais que partiellement, il se trouve que, dans les années mauvaises, il lui reste encore le nécessaire. Ajoutez qu’un pays habitué à exporter conçoit un sentiment tel de la supériorité de ses récoltes, qu’il est préservé des fausses terreurs, de ces paniques maladives, souvent plus désastreuses que la disette même. C’est ainsi qu’à la faveur de cette faculté précieuse d’exporter, l’abondance s’établit à demeure, et toute crainte de disette s’évanouit.

Veut-on encore des preuves à l’appui de cette vérité, on n’a qu’à prendre au hasard un pays quelconque où, durant un certain temps, l’exportation ait été régulièrement permise. Nous ne chercherons pas bien loin notre exemple, nous le prendrons dans l’histoire même de l’Angleterre, et le fait est à la fois assez curieux et assez concluant pour mériter d’être cité.

En 1689, on le sait, fut établie en Angleterre une loi qui non-seulement permettait l’exportation des grains, mais encore la favorisait au moyen d’une prime de 5 shillings par quarter. Quel était le but de cette loi ? Elle n’était pas, à coup sûr, dictée dans l’intérêt du peuple ; c’était, soi-disant, dans l’intérêt de l’agriculture, et par le fait dans l’intérêt des propriétaires fonciers. Que voulait, qu’espérait cependant l’aristocratie terrienne ? Elle voulait, en assurant aux grains du pays un débouché constant, produire une certaine rareté de la denrée, et en maintenir les prix. A certains égards, cette loi produisit son effet, car, quoi qu’en aient dit plusieurs économistes, et entre autres Adam Smith, elle fut singulièrement favorable à l’agriculture anglaise ; à d’autres égards cependant, elle eut des résultats tout différens de ceux qu’on attendait, puisqu’au lieu de cette rareté qu’on avait prévue, elle fit régner en Angleterre, tant qu’elle fut en vigueur, c’est-à-dire jusque vers 1764, l’abondance, une abondance constante, inaltérable. Écoutons ce que disait à ce sujet un auteur anglais, qui écrivait vers le milieu du dernier siècle, sous le pseudonyme de John Nickols. « Tant que l’Angleterre, disait-il, n’a songé à cultiver que pour sa propre subsistance, elle s’est trouvée souvent au-dessous de ses besoins, obligée d’acheter des blés étrangers ; mais, depuis qu’elle s’en est fait un objet de commerce, sa culture en a tellement augmenté, qu’une bonne récolte peut la nourrir cinq ans. » Ne nous arrêtons pas à l’exagération évidente de ces dernières paroles, qui sont en cela une expression des préjugés du temps : elles peuvent, toutefois, donner une idée de l’accroissement extraordinaire et subit que