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du pays. « Repoussez la pauvreté, non le papisme, écrivait-il sans cesse ; améliorez vos terres, étendez votre commerce, le reste viendra tout seul. » Rien n’est plus admirable que cette puissance d’un esprit juste et net appliquée aux grandes affaires. Pendant huit mois d’une administration sans tache et d’une infatigable activité, il releva l’industrie, encouragea l’agriculture, fonda des écoles, détruisit l’influence des managers, gens qui, au moyen de monopoles concédés par le gouvernement, assuraient les votes et soutenaient les ministères ; enfin il traça le sillon que devra suivre désormais tout ami véritable de l’Irlande. Il avait si étonnamment réussi, que George II eut le bon sens de le récompenser, d’oublier toutes ses épigrammes, et de lui donner les sceaux de secrétaire d’état.

Chesterfield eut le tort et l’imprudence de les accepter ; il revint ; bientôt ses gentillesses déplurent, ses graces firent ombrage, son ambition effraya ; il espérait gouverner le roi en gouvernant lady Yarmouth, la favorite, et redevenu, à cinquante-cinq ans, l’homme aimable par excellence, il n’en eut pas plus de crédit. Il ne put même pas obtenir un avancement militaire pour un de ses parens. Un jour qu’il sollicitait la signature royale pour je ne sais quelle nomination : « - J’aimerais mieux nommer le diable ! s’écria George II. — Comme votre majesté voudra, s’écria-t-il ; le diable est un assez bon sujet ; mais je lui ferai observer que les lettres de commission portent ces mots : A mon féal et bien-aimé cousin. — » Le roi signa en riant.

C’étaient là de petits triomphes de société auxquels Chesterfield était habitué. Cependant le grossier Newcastle et ses amis continuaient d’entraver sa route : il se décida à la retraite. — « Elle produisit peu d’effet, dit Horace Walpole, dont la narration dénigrante renferme quelques piquantes vérités et signale ce qu’il y avait de factice au fond de cette vie brillante. Toujours chez White, il y jouait et lançait des bons mots, mêlé aux jeunes fous de qualité. Dès son entrée dans le monde, il avait annoncé ses prétentions au bel esprit, et les femmes y croyaient fermement. Il s’était donné, sans plus de fondement, pour un séducteur, et cependant les femmes y croyaient. On aurait dû penser qu’elles seraient meilleurs juges de ce dernier point. Il faisait certainement tous ses efforts pour avoir de l’esprit, et pour être homme à bonnes fortunes. » Désappointé, mécontent, et renonçant au monde, il publia un exposé laborieux des motifs de sa retraite, auquel peu de personnes firent attention, refusa un duché que lui offrit George II, et se retira dans sa jolie maison de South-Audley-Street.

South-Audley-Street, une des rues du W est-End, voisine de Grosvenor-Square,