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désirée. On se rappelle peut-être et cette pauvre Mlle Du Bouchet, et ce fils que les fatuités de sa jeunesse (il n’eut jamais de vives passions) lui avaient laissé. N’ayant pas d’enfans de sa femme, tout ce que son esprit gardait de force, tout ce que son ame avait de chaleur, il le reportait sur Philippe Stanhope, c’était le nom de l’enfant naturel. Se voir revivre avec ses belles manières et ses triomphes, il eût tout donné pour cela ; à cette œuvre, il avait sacrifié argent, peines et temps. Il avait suivi de l’œil le jeune homme à travers ses voyages, l’avait recommandé aux grandes dames, qu’il avait priées de faire à Philippe l’aumône de quelques sourires, et n’avait oublié ni la danse, ni l’escrime, ni la carte de Tendre, ni le tailleur. Le jeune homme venait de faire son tour d’Europe, et son père l’attendait. « Comment va-t-il se présenter, demandait-il à Mme de Monconseil ? Frétillera-t-il des jambes comme autrefois ? son chapeau à plumet, le tiendra-t-il sous son bras galamment ? et son épée s’embarrassera-t-elle dans ses jambes ? Comment tournera-t-il sur le talon rouge ? La petite Blot, Mme Dupin et les dames allemandes lui auront-elles donné le beau vernis ? » La correspondance du père aura-t-elle produit plus d’impression que n’en produisent habituellement les sermons paternels ?

Afin de former son fils aux belles manières, ses lettres avaient été lestes, pimpantes et même égrillardes un peu plus qu’il n’est permis. Un jour il lui écrivait : « Je vous envoie de bons billets de banque. Il faut que madame la résidente soit étrennée ; » un autre jour : « Vous faites donc des parties de traîneau avec cette belle Allemande ? A la bonne heure ! Pourquoi ne seriez-vous pas assez adroit pour verser le traîneau ? il faut y voir clair.., en politique, mon fils ! Vous auriez de bien jolis madrigaux à débiter sur cette révolution-là ! »

Philippe Stanhope, qui avait couru le monde, recommandé à toutes les beautés qui peuvent achever les humanités d’un jeune diplomate, avait eu bien de la peine à prendre le beau vernis. Dans un des nombreux et spirituels romans de Théodore Hook, un père mauvais sujet est corrigé par un fils grave qui le remet dans la voie de la vertu ; cette excellente donnée de comédie se rapproche un peu de la situation respective de Chesterfield et de son fils. Le père professait un petit adultère léger et perpétuel, dont le fils ne savait que faire, bien que les exhortations paternelles lui recommandassent toujours « un agréable libertinage, un commerce galant, une débauche polie. » Si ce n’est de la bonne comédie, où donc est-elle ? Il n’y a sorte d’agaceries que ce bon père ne fasse pour l’arracher à sa chaste pesanteur. Il