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Hartz ou à Bade, jusqu’à Rouen ou aux Verrières suisses, et secouent leurs chaînes ! »

Ainsi disant, il poursuit sa route, cuit sa farine de maïs entre deux fragmens de roche, atteint la mer Morte où il se baigne, en ressort tout incrusté de sel blanc, en fin traverse le Jourdain, soutenu par des outres gonflées d’air, radeau singulier, qu’une tribu arabe improvise pour lui sous l’inspection du fidèle Démétri, et que ces hommes dirigent en nageant autour de l’embarcation. C’est ainsi qu’il arrive jusqu’à la Terre-Sainte, écarté de temps à autre de sa route par Démétri, qui a plus d’un saint à prier, plus d’une relique’ à baiser, et qui n’épargne pas les pieux mensonges pour aller trouver les objets de sa dévotion. Enfin il entre à Jérusalem, et ce qui l’étonne le plus, c’est que la ville s’est déplacée. « Je demandai le Calvaire, on me répondit : Montez au premier. En effet, le Calvaire était au premier étage. » Le mont sacré étant devenu le point central de Jérusalem, la ville a marché, a grandi, elle s’est concentrée autour de la montagne sainte. En définitive, c’est au premier étage de la grande église que se trouvent les traces du martyre et les trous d’or dans lesquels s’enfoncèrent jadis les clous du divin supplice.

Personne n’a mieux reproduit qu’Eothen la physionomie réelle de Jérusalem, ville chrétienne et juive, arabe et musulmane, les querelles et les combats des races ennemies qui l’habitent, la diversité des costumes et l’affluence bariolée des étrangers qui la visitent. L’auteur d'Eolhen ne se permet pas ces impiétés passées de mode dont le moindre défaut est d’être de mauvais goût ; mais il est naïf et ne se perd pas, comme lord Nugent, dans des dissertations infinies et stériles sur le véritable emplacement de la crèche et les faits et gestes de la princesse Hélène. Il oublie son protestantisme pour dire du bien des franciscains catholiques, de leur bienfaisance et de leurs aumônes, et esquisse en passant la singulière figure que fait aujourd’hui en Judée l’évêque protestant anglais, qui est venu l’habiter avec sa jeune femme, ses nourrices anglaises, ses petits enfans roses, et tout le comfortabie gourmé de la nursery britannique.

A Bethléem, il devient plus joyeux que de coutume, grace à une rencontre inattendue. Long-temps la gravité des femmes orientales, « qui marchent comme des cercueils enveloppés de mousseline, » et dont on ne voit que « les prunelles dévorantes, » l’extrême disgrace des « Bédouines du désert, » peu fidèles, dit-il, « au premier devoir de leur sexe, qui est de plaire, » l’avaient impatienté. Le voici à Bethléem ; quels sont ces cris ? Des femmes rient ! des femmes chantent !