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ni à nous éclipser, se font pardonner beaucoup ; on n’a pas le courage de critiquer un compagnon de route tel qu’Eothen, et de demander compte ou du but de son voyage ou de la fin de ses phrases à ce dernier rejeton d’une race qui se perd en Europe et même en Angleterre ; -infatigable causeur qui babille sur ce qu’il a vu ou imaginé en Syrie et en Palestine, et qui, ne visant ni à la rêverie ni à l’érudition, nous fait des contes à dormir debout, se moque des pachas, nie les pyramides, et respecte médiocrement le soleil. Il arrive au bout de son livre, sans que ce livre ait eu de commencement, et sans trop savoir s’il a une fin. Lui demanderons-nous une théorie, un système, une philosophie ? Il n’achève pas toujours ses périodes. Exigerons-nous qu’il parle des pyramides comme Napoléon, de la Grèce comme Byron, de la Judée comme Châteaubriand, lui qui entre en Palestine et contemple Jérusalem sans pousser de dithyrambe, campe chez les Bédouins sans fanfaronnades, et passe le Jourdain sans explosion lyrique ? Par le temps de fausses imitations qui court, on doit un doux accueil et de la reconnaissance à cet écrivain naturel ; il a l’extrême complaisance de ne pas être poétique. C’est un mortel tout uni et tout simple, qui veut bien n’être pas demi-dieu, tant il a de bonté pour nous.


F. DE LAGENEVAIS.