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Malgré toutes ses séductions, Naples ne pouvait nous retenir long-temps. Tout nous appelait en Sicile, et dès que les soins empressés de notre ambassadeur, M. de Montébello, nous eurent mis en possession des papiers qui nous étaient indispensables, nous montâmes à bord du Palermo, le premier des bateaux à vapeur qui ait assuré des communications régulières entre l’île et le continent. Cette traversée, naguère encore si incertaine, parfois si pénible et si longue, se fait à présent à coup sûr en dix-huit ou vingt heures au plus. Partis de Naples à quatre heures, nous laissâmes sur notre gauche Caprée et ses roches escarpées, muets témoins des crimes de Tibère et de la bravoure de nos soldats. Nous vîmes le soleil pencher à l’occident, dorer de ses derniers rayons les cimes dentelées des côtes calabraises, puis s’éteindre dans les flots et faire place à une de ces nuits aux ombres transparentes que ne connurent jamais le ciel ni la terre du nord. A l’aube, quand nous remontâmes sur le pont, le dernier piton des Calabres s’évanouissait à l’horizon, tandis qu’à l’avant du navire la Sicile sortait d’une mer azurée et grandissait à vue d’œil. Avant midi, nous doublions le capo di Gallo et embrassions du regard toute cette vallée admirable si justement nommée la Conca d’Oro.

Certes, la baie de Naples offre au voyageur arrivant du large un coup d’œil des plus ravissans. Pourtant je préfère encore l’aspect du golfe de Palerme. A Naples, le paysage manque d’harmonie. La ville, penchée sur ses rampes rapides, arrête brusquement les regards, qui ne rencontrent entre le ciel et l’eau que les maisons superposées de Monte-Falcone et les bastions du château Saint-Elme ; la côte rase de Portici, couverte de ses blanches villas, semble n’être qu’un faubourg prolongé jusqu’à Castellamare. Entre l’œil et ce rivage si gracieusement arrondi, il n’y a point d’intermédiaire ; au-delà, point d’arrière-plan. L’homme domine trop dans ce paysage où la nature ne se montre réellement que dans la masse isolée et le cône fumant du Vésuve. Ce magnifique accident, jeté au milieu du tableau sans que rien le rattache à l’ensemble, est, par cela même peut-être, d’un effet plus saisissant ; mais en tout il jure avec le reste, et, comme une menace incessante, il mêle quelque chose de sinistre aux plus riantes impressions.

A Palerme, rien de semblable. Partout les contrastes les plus frappans s’harmonisent et concourent à l’effet général. L’homme et la nature, non plus antagonistes, mais simples rivaux, se montrent à la fois sur tous les plans d’un paysage qu’on dirait disposé par quelque grand artiste avec un art infini. Du pont de notre pyroscaphe, nous