Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/969

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand comme nos peupliers. Les promenades publiques sont plantées de citronniers et d’orangers ; ces mêmes arbres forment, de Palerme à Monreale, une forêt de plus d’une lieue de long, s’élèvent sur les premières pentes du mont Cucchio et du mont Griffone, et ne s’arrêtent, lorsque la terre végétale vient- à leur manquer, que pour faire place aux cactus, aux aloès, qui remplacent ici les buissons et les ronces.

Une de nos premières courses aux environs de la ville fut consacrée à visiter la grotte de San-Ciro, qui jouit dans le monde savant d’une certaine ’réputation pour avoir fourni aux paléontologistes quelques ossemens fossiles curieux. Sortis de Palerme par’ la porte de Termini, nous suivîmes d’abord une route tracée au milieu de riches jardins, laissâmes sur notre gauche le Pont du Connétable, dont la fondation remonte au règne des fils de Tancrède, et côtoyâmes bientôt les montagnes qui forment le revêtement oriental de la Conca d’Oro. Arrivés au pied du mont Griffone, le prince Gragnatelli, un des chefs les plus distingués de l’opposition sicilienne, qui nous servait de guide dans cette courte expédition, nous fit remarquer au milieu de la plaine un lourd et vaste bâtiment carré, aux fenêtres étroites comme des meurtrières, aux portes basses et cintrées. N’eût été l’épaisseur des murailles, on aurait pu le prendre pour une grosse ferme en ruines. Cet édifice, dont le moindre bourgeois de nos jours ne voudrait certainement pas pour maison de campagne, fut pourtant le séjour favori des rois normands, qui venaient s’y délasser des fatigues de la guerre il porte encore aujourd’hui le nom significatif de Delizie. A le voir, on reconnaît sans peine que, si les rudes guerriers qui l’habitèrent savaient appeler à eux tous les arts pour honorer une religion dont ils avaient souvent à réclamer l’indulgence, ils étaient loin de se donner tant de peine lorsqu’il s’agissait de leur bien-être personnel. En face de cette antique maison de plaisance, la montagne présente une ouverture basse et soutenue par un double arceau ; c’est l’entrée d’une grotte occupée par un large bassin d’où s’échappe un ruisseau d’eau vive qui fertilise la contrée voisine, et, par une hyperbole toute sicilienne, porte le nom de mare dolce. Cette grotte était jadis une dépendance du palais des Délices, et sans doute servait de salle de bains aux preux conquérans de la Sicile.

Peu après avoir dépassé cette mer d’eau douce, il fallut quitter notre voiture et gravir le talus d’éboulement déposé au pied du mont Griffone. Un sentier encaissé entre deux champs de cactus nous conduisit bientôt en face de la grotte de San-Ciro. Celle-ci consiste en une excavation