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nos pieds arrivaient jusqu’au banc où deux de nos rameurs appuyaient leurs jambes et leurs pieds nus, et si, comme nous, M. Blanchard eût été forcé de s’allonger, il n’aurait pu trouver place que sous ces arceaux vivans d’un voisinage fort peu agréable.

Nous avions quitté Palerme assez tard, et la nuit vint bientôt nous surprendre en face d’une petite anse sablonneuse que dominait la tour déserte de Sferacavallo. Il fallut, pour notre début, dormir dans la barque. Nos marins la poussèrent tout près du rivage, et l’amarrèrent avec un grappin. Plaçant ensuite à chaque extrémité deux barres attachées en croix, ils posèrent sur ces chevalets improvisés la longue vergue de notre voile latine, et jetèrent par-dessus une toile goudronnée. A la lueur d’une lampe fumeuse, nous ouvrîmes la boîte aux provisions, et fîmes notre premier repas de bivouac avec du saucisson rance et du cacio cavallo dont le goût rappelle un peu celui du vieux fromage de Gruyère ; puis nous déroulâmes nos couchettes et endossâmes nos capes ; M. Edwards et moi nous nous étendîmes en long, M. Blanchard se plaça à nos pieds en travers, nos hommes se logèrent comme ils purent, entre les bancs, sur les voiles ou les cordages, et bientôt naturalistes et matelots, tout dormait mollement balancé par les oscillations à peine sensibles du flot.

Malheureusement une circonstance imprévue vint dépoétiser étrangement ce que cette situation avait de romantique. Sept matelots siciliens, nourris d’ail et d’ognons, couchés sur des hardes dont les services datent de longues années, sont très peu propres à parfumer l’atmosphère d’une tente étroite, basse, et que l’air piquant de la nuit nous forçait à tenir parfaitement close. À ces exhalaisons se mêlait une odeur pire encore, et dont quelques bouffées nous avaient déjà fort désagréablement surpris durant le jour. Nous ne tardâmes guère à en découvrir la cause. Pendant le souper, nous avions vu courir dans le clair-obscur qui nous entourait quelques insectes assez semblables à des punaises d’un pouce de long ; nous avions reconnu la blatte orientale. Cet insecte, jadis étranger à l’Europe, a été importé par le commerce jusque dans nos capitales, et les boulangers le connaissent bien à Paris sous le nom de noirot ou de canquerlin. Son corps ovale, allongé, brun en dessus, brun jaunâtre en dessous, aplati comme celui de la punaise, exhale une odeur plus forte et plus nauséabonde encore que celle du parasite que je viens de nommer. Comme lui, les blattes sont nocturnes. Tapies toute la journée dans quelque cachette obscure, elles sortent la nuit de leurs retraites et errent çà et là cherchant à manger. Débris de pain, de sucre, de viande, tout leur est