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qu’un naturaliste. Aussi ne tardai-je pas à remercier avec gratitude ces accidens de terrain que j’avais maudits quelques instans auparavant. Bientôt ma boîte de fer-blanc, mes tubes, mes flacons, se trouvèrent amplement garnis, et je me hâtai de regagner le quartier-général, où M. Edwards arrivait de son côté chargé de véritables richesses. M. Blanchard seul revint presque à vide et d’assez mauvaise humeur. Sur la foi des cartes de géographie et du dire des voyageurs, il croyait que sous ces heureuses latitudes il n’existe réellement pas d’hiver, il avait espéré trouver déjà d’amples récoltes à faire ; mais, en Sicile comme en France, la nature a son temps de repos, et les insectes qui devaient peupler la campagne quelques semaines plus tard dormaient encore dans leurs galeries souterraines ou dans leurs fourreaux de soie à l’état de larves et de chrysalides.

Notre compagnon se consola bientôt à l’aspect de nos vases. Qu’importait l’insuccès de l’un de nous, quand les deux autres étaient chargés de butin ? Venus en Sicile avec des plans de travaux bien distincts, chacun devait, en profitant des trouvailles de tous, doubler son temps et ses forces par cette assistance mutuelle. Sur nos tables se trouvaient réunis de grands buccins, connus vulgairement sous le nom d’escargots de mer, très propres aux recherches que M. Blanchard comptait faire sur le système nerveux des mollusques ; des béroïdes, des acalèphes, espèces d’animaux rayonnés, gélatineux, transparens comme du verre, qui déjà avaient fourni à M. Edwards le sujet d’importantes publications, mais dont l’organisation singulière offrait encore mille problèmes à résoudre ; des annélides, des gastéropodes phlébentérés, dont l’étude était le but spécial de mon voyage. On voit que nous avions tous notre part grande et belle ; aussi, sans perdre un instant, pinces, scalpels, compresseurs, microscopes, furent en mouvement. Nous commencions notre campagne scientifique.

Toutefois, avant de nous mettre définitivement à l’ouvrage, nous songeâmes à répartir le service entre nos hommes, à monter notre maison. Le patron Perone, que sa dignité attachait nécessairement a la barque, devint notre capitaine des pêches : par sa dextérité, la justesse de son coup d’œil, et la force athlétique dont il donnait des preuves au besoin, il justifia pleinement notre confiance à cet égard. Les deux matelots qui parlaient italien furent plus particulièrement attachés à nos personnes. Carmel, l’un d’eux, beau garçon de vingt-cinq ans, plein d’intelligence et de bonne volonté, fut nommé valet de chambre ; l’autre, nommé Juseppe Artese, cumula les fonctions d’intendant et de cuisinier. Dieu sait qu’il ne méritait guère ce