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pas besoin de s’expliquer la situation de leur ame. En arrivant, il fallut pourtant déclarer à la baronne la nouvelle qu’ils venaient d’apprendre.

— Jésus, mon Dieu ! fit la bonne dame consternée, ma nièce s’appellera donc toujours Éléonore Maragnon ; c’est comme une nouvelle mésalliance. Cette enfant a du sang des Colobrières dans les veines ; elle est immensément riche, elle est jolie comme un ange ; sa mère aurait pu lui choisir un mari dans la petite noblesse, lui faire épouser un homme de robe dont le nom sonnerait mieux à l’oreille que ce nom roturier de Maragnon. Que dira votre père quand il apprendra ce mariage !

— Nous le lui laisserons ignorer, dit vivement Anastasie ; nous-mêmes, ma mère, nous n’en parlerons plus ; il y a des choses qu’on ne doit pas rappeler.

— Vous avez raison, ma fille, répondit la baronne en soupirant ; il faut se taire sur ses afflictions, si l’on veut vivre en paix dans les familles.

Le mariage d’Éléonore avec son cousin demeura un secret entre la baronne et ses enfans ; la Rousse elle-même, qui les observait continuellement et épiait tous leurs entretiens, ne sut rien de cet événement. La malheureuse fille s’aperçut de la profonde tristesse du cadet de Colobrières sans en deviner la cause, et ne comprit pas davantage le motif de la mélancolie où sa jeune maîtresse était plongée. La conduite du baron lui semblait aussi tout-à-fait inexplicable : le jour même où elle avait découvert les relations de la famille de Colobrières avec la famille Maragnon, elle les avait racontées au vieux gentilhomme en y joignant tous les détails, tous les commentaires qu’une fille amoureuse et jalouse était capable d’ajouter à ce récit. Le baron l’avait écoutée avec un grand sang-froid ; ensuite il lui avait recommandé le plus profond silence, et, au lieu de faire, comme d’habitude, sa partie de boules, il était allé se promener seul dans les champs. Le même jour, il avait écrit une lettre que la Rousse était allée porter secrètement au messager qui faisait, chaque semaine, le chemin du village à la ville voisine, pour mettre à la poste la correspondance de tout le pays. Ensuite les choses avaient marché dans l’ordre habituel ; il n’y avait rien eu de nouveau que le mauvais temps qui était venu emporter la récolte, et une certaine tristesse peinte sur tous les visages.

Gaston et sa sœur sortaient presque tous les jours comme de coutume, mais, au lieu de retourner dans le vallon, ils suivaient des sentiers