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quent toutefois ; il peint Amour par tous ses bienfaits et le montre dans le sens le plus noble, le plus social, et comme lien d’harmonie dans l’univers et entre les hommes. Les diverses sortes d’amour et d’amitié, l’amour conjugal, fraternel, y sont célébrés ; Apollon cite Oreste et Pylade, et n’oublie David et Jonathas ; Mercure à son tour citera Salomon. À part ces légères inconvenances, le goût, même aujourd’hui, aurait peu à reprendre en ces deux ingénieuses plaidoiries. Apollon y fait valoir Amour comme le précepteur de la grace et du savoir-vivre dans la société ; la description qu’il trace de la vie sordide du misanthrope et du loup-garou, de celui qui n’aime que soi seul, est énergique, grotesque, et sent son Rabelais : « Ainsi entre les hommes, continue Apollon, Amour cause une connoissance de soi-mesme. Celui qui ne tâche à complaire à personne, quelque perfection qu’il ait, n’en a non plus de plaisir que celui qui porte une fleur dedans sa manche. Mais celui qui désire plaire, incessamment pense à son fait, mire et remire la chose aimée, suit les vertus qu’il voit lui estre agréables et s’adonne aux complexions contraires à soi-mesme, comme celui qui porte le bouquet en main… » Tout ce passage du plaidoyer d’Apollon est comme un traité de la bonne compagnie et du bel usage. Retraçant avec complaisance les artifices divers par lesquels les femmes savent, dans leur toilette, rehausser ou suppléer la beauté et tirer parti de la mode, il ajoute en une image heureuse : « et avec tout cela, l’habit propre comme la feuille autour du fruit. » Amour, au dire d’Apollon, est le mobile et l’auteur de tout ce qu’il y a d’aimable, de galant et d’industrieux dans la société ; il est l’ame des beaux entretiens : « Brief, le plus grand plaisir qui soit après Amour, c’est d’en parler. Ainsi passoit son chemin Apulée, quelque philosophe qu’il fust. Ainsi prennent les plus sévères hommes plaisir d’ouïr parler de ces propos, encore qu’ils ne le veuillent confesser. » Et la poésie, qui donc l’inspire ? « C’est Cupidon qui a gaigné ce point, qu’il faut que chacun chante ou ses passions, ou celles d’autrui, ou couvre ses discours d’Amour, sachant qu’il n’y a rien qui le puisse faire mieux estre reçu. Ovide a toujours dit qu’il aimoit. Pétrarque, en son langage, a fait sa seule affection approcher à la gloire de celui qui a représenté toutes les passions, coutumes, façons et natures de tous les hommes, qui est Homère. » Quel éloge de Pétrarque ! il semblera excessif même à ceux qui savent le mieux l’admirer. Voilà bien le jugement d’une femme, mais d’une femme délicate, éprise des beaux sentimens, non d’une Ninon. En un mot, dans toute sa plaidoirie, Apollon s’attache à représenter Amour dans son excellence et sa clair-