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Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
À l’heur passé avec toi regretter ;
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes graces chanter ;
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre ;

Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante,
Prîrai la Mort noircir mon plus clair jour !


Le dernier vers pourra sembler un peu serré, un peu dur ; mais le sentiment général, mais l’expression vive du morceau, ces yeux qui tarissent, montrer signe d’amante, ce sont là des beautés qui percent sous les rides et qui ne vieillissent pas.

Il nous serait possible de glaner encore dans les vingt-quatre sonnets de Louise Labé, de relever quelques traits, quelques vers :

Comme du lierre est l’arbre encercelé…
J’allois resvant comme fais maintefois,
Sans y penser ........
Où estes-vous, pleurs de peu de durée ?…


Mais, après ce qu’on a lu, l’impression ne pourrait que s’affaiblir. Louise, en terminant, allait au-devant des objections, et, s’adressant au cœur des personnes de son sexe, elle faisait noblement appel à leur indulgence :

Ne reprenez, Dames, si j’ai aimé,…
Et gardez-vous d’estre plus malheureuses.


Il ne paraît pas, en effet, que cette publication de ses vers ait rien diminué de la considération autour d’elle, car je ne tiens pas compte des propos grossiers et des couplets satiriques, comme il est à peu près inévitable qu’il en circule sur toute femme célèbre[1]. Elle avait

  1. On peut chercher une de ces chansons diffamantes et tout-à-fait fescennines dans un petit écrit intitulé : Documens historiques sur la vie et les mœurs de Louise Labé, Lyon, 1844 ; mais de telles malignités, ainsi exprimées, ne prouvent