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c’est la durée. Voilà pourquoi Dussault a pu dire avec justesse que les oraisons de Fléchier « ont fixé chez nous un des types originaux du style. » Certes, de pareilles et si sérieuses qualités sont faites pour défier la mauvaise volonté des critiques ; mais toujours est-il qu’on peut tourner le trait de Pascal contre Fléchier : « L’éloquence continue ennuie. » Osons être net : malgré tant de mérites dignes d’être sentis, il y a du rhéteur, beaucoup du rhéteur dans Fléchier. Jolies périodes emmiellées, comme dit Pétrone, mellitos verborum globulos ; le malheur est qu’elles soient saupoudrées de pavot, papavere sparsos De là vient qu’on estime Fléchier et qu’on le lit peu : c’est tout ce que je voulais dire.

M. Villemain[1] a quelque part écrit que Fléchier n’était « pas assez goûté de nos jours. » Serions-nous donc injustes envers celui qui, selon la remarque de l’illustre écrivain, a l’un des premiers rencontré les véritables formes de la langue française, qui sont la grace et la dignité ? Dire pourtant que les Oraisons de Fléchier tiennent, dans notre littérature, la même place à peu près que le Panégyrique de Trajan chez les Latins, n’est-ce pas assez ? n’est-ce pas donner l’estime réelle qu’elles méritent à ces pièces, comme le dit l’auteur lui-même, « travaillées dans les cabinets[2] ? » Seulement il est permis, ce me semble, de mettre les Lettres de Pline bien au-dessus de son Panégyrique. Voilà précisément ce qui m’arrive pour Fléchier. On peut risquer d’être un moment sévère ou même dur, quand on se sent, pour l’instant d’après, de vives inclinations à l’indulgence. Peut-être aussi, avec ses agrémens ingénus, sa douceur badine et sa fleur d’enjouement tempérée de mélancolie, le Fléchier inattendu que nous allons rencontrer nous donne-t-il un peu de prévention contre les syllabes cadencées et les tours arrondis de ce que j’appellerai le Fléchier officiel et légal ; telle est la perfidie des contrastes. Ce spirituel prosateur, aussi naturel qu’expressif, et dont les allures naïves comme les négligences sont à propos relevées par l’air de qualité tout particulier à ce temps-là, cet écrivain si différent de l’orateur composé et pompeux que nous connaissons, vient d’être révélé aux lecteurs par les Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont[3], qu’a retrouvés et publiés un savant bibliothécaire de l’Auvergne, M. Gonod. C’est avec ce nouvel et tout gracieux auteur que nous voudrions faire, en passant, connaissance.

  1. Essai sur l’Oraison funèbre.
  2. Voyez le premier des Discours académiques de Fléchier.
  3. Un vol. in-8o, chez Forquet, quai Voltaire, 1.