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ingénieuses et délicates ? » Voilà bien le secret de cet étalage d’airs galans et d’aspirations passionnées : évidemment le gracieux abbé visait à passer dans les réduits à la mode pour la fleur des beaux esprits. Déjà les airs fins et spirituels de son visage, son éloquence d’orateur, son naturel doucement paresseux, les tours élégans de son style, l’abandon enjoué de ses causeries dans les petits cercles, toutes ces qualités lui avaient, dès son début, conquis bien des suffrages ; mais ce n’était pas assez. Quoiqu’il fût arrivé à Paris seulement en 1659, c’est-à-dire l’année même où Molière bafouait les précieuses à la scène, il voulut aussi être un homme des salons, et c’est ainsi qu’il subit l’autorité encore persistante des belles compagnies du temps de Louis XIII. Du reste, cela se comprend, car la première personne chez qui le produisit son protecteur Conrart se trouva être précisément M. de Montausier[1]. C’est dans ce monde subsistant de l’hôtel Rambouillet que Fléchier connut Bossuet, et qu’il devint l’ami d’Huet, jucundissimus amicus[2]. C’est là qu’il se lia avec celle qui fut d’abord la plus adorable des précieuses, Mme de Sévigné. Ce commerce de conversations polies et de lettres complimenteuses, ces entretiens subtils sur des questions de cœur, cette vie enfin de société mondaine et raffinée, plaisaient beaucoup au jeune abbé : son talent en reçut une empreinte qui ne s’effaça jamais, mais qu’il couvrit plus tard de pompe oratoire. Faisant, en 1672, l’oraison funèbre de la duchesse de Montausier, il ne put s’empêcher, au milieu de ces solennités de la mort, de rendre hommage à des souvenirs qui lui étaient chers, et de parler de « ces cabinets, que l’on regarde encore, disait-il, avec tant de vénération, où l’esprit se purifiait, où la vertu était révérée sous le nom de l’incomparable Arténice, et où se rendaient tant de personnes de qualité et de mérite qui composaient une cour choisie, nombreuse sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation. » Prononcés dans une chaire chrétienne, ces mots montrent quelle marque vive avait laissée l’hôtel de Rambouillet sur l’esprit de Fléchier. Décidément les fadeurs que le futur évêque écrivait à Mlle de Lavigne ne doivent pas trop nous effaroucher ; ce n’est que le

  1. D’Alembert lui-même, dans son très bon Éloge, n’a pas assez tiré profit d’une biographie fort mal digérée sans doute, mais pleine de détails curieux, qu’on trouve en tête du tome Ier (le seul publié) d’une édition de Fléchier entreprise, en 1773, par le président Ménard. C’est une source peu connue et très précieuse. Quant au texte des œuvres, il faut avoir recours à celui qu’a donné à Nîmes l’abbé Ducreux, en 1782 : l’édition de M. Fabre de Narbonne est très mauvaise.
  2. Huet, Commentar. de Rebus ad eum pertinentibus, 1718, in-12, p. 233.