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souvent est un peu gâtée par des atteintes de bel esprit, la langue en revanche est charmante. Qu’était donc Fléchier, lorsque, suivant les jolies inclinations de sa plume, il se donna ainsi l’agrément de jeter, en courant, sur le papier la chronique des Grands-Jours ? C’est lui qui a dit quelque’ part : « On croit que je compose avec peine et avec contention ; il n’est est rien. J’écris, au contraire, avec une extrême facilité. » Le père La Rue, qui était des amis de Fléchier, l’a jugé bien différemment : « Il ne sortait rien de sa plume, de sa bouche, même en conversation, qui ne fit travaillé ; ses lettres et ses moindres billets avaient du nombre et de l’art. » Auquel se fier de ces témoignages contradictoires ? Pour mon compte, je les accepte tous deux et je les concilie : Fléchier pensait aux Mémoires, le père La Rue pensait aux Oraisons funèbres, et chacun sans doute avait raison. Il y a si loin, en effet, de cette éloquence compassée et patiente à cette grace vive et enjouée ! Durant les sept années d’intervalle qui tout au plus les séparent, l’orateur perdit toute ressemblance avec l’abbé ; il’ avait changé de manière, il ne tenait plus la plume de la même main.

Fléchier partit en 1665 pour Clermont, où Louis XIV avait convoqué ce tribunal exceptionnel, cette espèce de cour prévôtale qu’on appelait les Grands-Jours ; il y avait sept ans déjà qu’il habitait Paris. Mais comment était-il venu, lui simple prêtre, chercher fortune si loin de sa Provence ? Il y était venu par hasard. Le hasard est le grand dispensateur des carrières. D’Alembert lui-même, dans son bel Éloge, n’a pas touché assez nettement ces détails sur lesquels tous les moutons de Panurge qu’on appelle des biographes n’ont pas manqué de le copier. Né en 1632 dans le comtat d’Avignon, où son père, issu pourtant de nobles ancêtres, exerçait la simple profession de fabricant de chandelles, Esprit Fléchier fut confié très jeune à un avocat de Tarascon, qui lui fit suivre les cours du collége tenu dans cette ville par les prêtres de la Doctrine. Un oncle de Fléchier était supérieur de cette congrégation ; dès l’âge de quinze ans, le neveu y entra. Bientôt on lui fit professer les humanités, et il finit par être envoyé comme régent de rhétorique à Narbonne ; c’est là que ses prédications commencèrent d’être remarquées et que se déclara sa vocation pour la chaire, dont il devait un jour devenir l’un des maîtres. Il y avait douze années que Fléchier avait l’habit quand son oncle mourut : ce protecteur venant à lui manquer, le jeune régent eut à subir quelques désagrémens dans sa compagnie ; il la quitta. Une affaire relative à cette mort lui fit entreprendre le voyage de Paris ; Paris lui plut, il y resta. Ceci se passait vers la fin de 1659 ; Fléchies alors avait vingt-huit