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prendre, qu’elle fait toucher au doigt le faible du célèbre prédicateur pour le lieu commun, son penchant déclaré vers la rhétorique. Tout s’explique pour qui a recours aux origines.

Quand Fléchier vint à Paris, il y rencontra une espèce de charlatan oratoire, un distillateur de galimatias, comme on l’appelait, qui avait nom Richesource. Ce bizarre personnage donnait, dans sa chambre de la place Dauphine, des cours garantis ; il s’agissait sous lui de devenir éloquent. Pour cela, on prenait chaque semaine, durant trois mois, trois leçons de deux heures ; dès-lors, le tour était fait. Qu’importait qu’on eût dépensé trois louis d’or ? on était initié, par compensation, aux plus mystérieuses recettes de l’éloquence. Fléchier donc paya ses trois louis et devint le favori de Richesource. En tête de l’Idée de la Rhétorique, publiée en 1662 par le maître, on lit de méchans vers de l’élève, on sont vantés outre mesure les talens de ce grotesque pédagogue, qui, selon lui,

Donne aux prédicateurs un secret sans pareil
De gagner les cœurs par l’oreille.


Mais ce n’était pas assez. Bientôt Richesource fit imprimer le Masque des Orateurs, « à la prière, dit-il, d’un des plus honnêtes jeunes hommes et des plus obligeans que j’aie jamais connu et servi dans ma profession. » On devine qu’il s’agit de Fléchier. Or, quelle est la méthode prônée dans ce livre ? Celle que l’auteur lui-même appelle impudemment le plagianisme. C’est une manière commode : vous faites une liste des divers lieux communs à traiter dans votre discours ; puis, pour chacun d’eux, vous prenez quelque passage d’un auteur connu que vous copiez en changeant seulement les expressions et que vous amplifiez en ajoutant des mots, en rendant l’original méconnaissable. Richesource enseigne et applique, dans les détails, avec le calme le plus sérieux du monde, l’art de cacher son jeu, de substituer des locutions à d’autres, de s’approprier le fond en modifiant quelque peu la forme. D’Artigny l’appelle avec indignation le Cartouche du Parnasse ; c’était plutôt un Mandrin dogmatique, professant la théorie sans descendre à l’application : je lui donnerais volontiers pour devise le mot d’Ovide : vivitur ex rapto. Tel fut le précepteur de Fléchier. Les plis de la jeunesse ne s’effacent jamais entièrement : plus tard Fléchier aura beau faire, quelque chose de ce procédé lui restera sans qu’il s’en doute ; quand il ne développera plus le texte des autres, c’est le sien propre qu’il développera ; en un mot, il assortira des phrases disertes et solennelles sur quelque idée commune, il choisira de beaux mots,