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plus jolis vers de Segrais, les premières lettres de Mme de Sévigné et la Princesse de Montpensier de Mme de La Fayette. Le livre de Fléchier en marque la plus coquette nuance et le plus heureux momens. On est au seuil d’une époque de génie et de goût ; le style va se transformer, et, comme dans toute transformation, quelques qualités vont disparaître que personne ne retrouvera, et Fléchier moins que personne. Eh bien ! c’est ce je ne sais quoi qui avait sa senteur la veille et qui devait être évaporé le lendemain, c’est ce léger parfum que l’auteur des Grands-Jours a su fixer sous sa plume. Ce fruit de sauvageon, bien venu et mûri jusqu’à la saveur par un soleil propice, Fléchier eut en quelque sorte le hasard de le cueillir. Sans doute il tire encore trop de petites étincelles du choc des antithèses, sans doute il a des tours un peu languissans et il se perd quelquefois dans les circonlocutions précieuses ; mais, en revanche, les beaux tours de langage que la régularité va bannir, les agréables façons de dire que la pruderie classique fera disparaître ! Ces graces un peu traînantes n’en ont peut-être que plus de charme quand on songe à la majesté alignée des prochaines Oraisons funèbres. Il se rencontre là des touches de style, une gaieté à fleur d’ironie, une douceur au goût qui ravissent. Cela charme et repose. Fléchier lui-même, dans ses Réflexions sur les Caractères des hommes, a excellemment dit : « Il est des beautés régulières qui n’agréent pas tant que de jolies personnes ; il en est de même des écrits. Ce qui est, en effet, le plus beau et le meilleur ne plaît quelquefois pas tant qu’une certaine manière d’écrire galante et agréable. » Le galant et agréable auteur expliquait ainsi lui-même, sans le soupçonner, sa destinée à venir. Il y a deux Fléchier très distincts à l’heure qu’il est.

On ne voulait parler ici que du premier, et l’heure précisément est Venue où le simple bel-esprit des ruelles va devenir un prédicateur célèbre. Que d’autres le suivent dans ces éclats de la gloire : nous nous arrêtons au seuil de la terre promise. Désormais aucun succès ne va manquer à l’orateur sacré : l’Académie à l’unanimité l’appellera dans son sein, et, le jour de sa réception, son triomphe sera si grand, que Racine, admis en même temps, n’osera faire imprimer son discours. Chaque jour sa fortune se fera plus brillante : le voilà en effet qui prêche à la cour et qui devient en peu de temps aumônier de la dauphine, puis évêque de Lavaur ; enfin on le contraindra, pour dernière faveur, d’accepter sa promotion au siège de Nîmes. Alors il décrira à Louis XIV : « C’est une grande preuve de votre bonté que vous me réduisiez à ne vous demander que la diminution de vos bienfaits. »