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Fléchier n’était pas ambitieux ; il se trouvait comblé. Retiré en son diocèse, l’excellent prélat se fit un devoir d’y résider jusqu’à sa mort, qui n’eut lieu qu’en 1710. Son double caractère d’ancien habitué de l’hôtel Rambouillet et d’homme de cœur ne se démentit pas un instant dans cette retraite : on en peut trouver des preuves aussi diverses que significatives dans un remerciement à Mlle de Scudéry, qui lui avait envoyé ses Conversations, et dans le noble mandement par lequel il condamna les Maximes des Saints de Fénelon. On lit au milieu de la première cet étrange passage : « Il me prend quelquefois envie, mademoiselle, de distribuer votre livre dans mon diocèse pour édifier les gens de bien et pour donner un bon modèle de morale à ceux qui la prêchent ; » on lit dans le second cette belle parole : « M. de Cambrai n’a manqué que par un trop grand désir de perfection. » Fléchier est tout entier dans ces deux phrases ; jusqu’au bout, il y eut en lui du bel-esprit et de la tendresse. Là est le secret de son talent et de son cœur.

L’auteur des Oraisons Funèbres gardera la renommée paisible dont il est en possession depuis plus d’un siècle et demi : c’est un nom désormais consacré, et qui, bien au-dessous de Bossuet et de Bourdaloue, a sa place désignée près de Mascaron. Mais une gloire inattendue et plus douce s’attache désormais au souvenir rajeuni de Fléchier : celui qui a écrit les Mémoires sur les Grands-Jours demeurera certainement comme un modèle d’aménité et de grace, entre Voiture, qu’il rappelle en le corrigeant, et Hamilton, qu’il annonce en l’égalant. Certes, s’il pouvait nous lire, Fléchier serait, au premier abord, surpris et même piqué du ton de nos éloges : il s’était arrangé une si belle place entre les modèles de l’art oratoire, et voilà que, sans égards, on le classe parmi les maîtres du badinage ! Notre sympathie pourtant est si vive, notre assentiment est si sincère, que, vaincu par ces instances, le bon évêque finirait peut-être par échanger contre cette simple tresse de bluets les palmes de vainqueur, la couronne d’ache et de nénuphar qu’on a dès long-temps déposée sur son front, au nom de la rhétorique et de l’éloquence. Au besoin, du reste, nous lui citerions ce joli mot d’un de ses Discours académiques : « Les louanges sont les doux supplices de la vertu. »


CHARLES LABITTE.