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se montre si lucide et si calme, soit qu’il approfondisse une question épineuse, soit qu’il apprécie un point du passé, on peut juger si, dès qu’il prend la plume de l’histoire, toutes ces belles aptitudes ne s’élèvent pas chez lui à une puissance plus grande encore. Il y a chez l’historien des convictions très fermes et très nettes, mais jamais elles n’empiètent sur le domaine, sur la vérité des faits : l’histoire enfin entre les mains de l’homme politique ne perd rien de son incorruptible véracité ; elle reste ce qu’elle est dans son essence, suivant l’expression d’un maître immortel, testis temporum, lux veritatis.

Au surplus, peu d’historiens ont eu, comme M. Thiers, autant de moyens de connaître et d’exposer la vérité : jamais un plus riche trésor de documens authentiques n’a été mis à la disposition d’un écrivain. Toutes les archives du royaume ont été ouvertes à M. Thiers, celles des affaires étrangères, celles du ministère de la guerre. Enfin il a été donné à M. Thiers de pénétrer dans le secret des archives de la secrétairerie d’état, qui contiennent en originaux tous les papiers, tous les écrits émanés de Napoléon lui-même. Ces papiers, ces écrits sont les irréfragables témoins de l’activité, de la puissance d’esprit de l’empereur, activité, puissance surhumaines qui lui ont permis d’enfermer dans un espace de quinze ans plus de résultats qu’il n’en faudrait pour illustrer plusieurs vies d’homme. L’empereur disait quelquefois que ce n’était pas par son épée qu’il avait conquis et gouverné le monde, mais par sa plume. Par des communications directes, par des notes concises et frappantes, il animait de sa pensée ses ministres, ses ambassadeurs, ses conseillers d’état, ses aides-de-camp. Les dépêches de M. de Talleyrand, quand il avait le portefeuille des affaires étrangères, ne furent souvent que le développement des pensées que l’empereur avait jetées sur le papier. Au camp de Boulogne, Napoléon, qui avait emmené avec lui le ministre de la marine, M. Decrès, lui adressait, dans la même journée, de nombreux billets ; c’était un ordre à exécuter sur-le-champ, c’était un plan pour l’avenir, une idée dont il fallait dès à présent préparer l’exécution. Avant M. Thiers, personne n’avait été admis à consulter ces précieux monumens de la pensée de Napoléon. Personne sans doute ne réclamera contre un pareil privilège. Ce que le gouvernement ne saurait confier à un écrivain sans mission, sans caractère, il a pu, il a dû le communiquer à un ancien président du conseil, à un homme d’état qui, par son passé et son avenir, a d’incontestables droits à ces hautes confidences. M. Thiers a trouvé aussi dans plusieurs cabinets étrangers un empressement vraiment courtois à mettre sous ses’ yeux des pièces