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elle s’était retrouvée au fond des ames comme la croyance naturelle et indispensable de la France et de l’Europe.

« Quoi de plus indiqué, de plus nécessaire en 1800, que de relever cet autel de saint Louis, de Charlemagne et de Clovis, un instant renversé ? Le général Bonaparte, qui eût été ridicule s’il avait voulu se faire prophète ou révélateur, était dans le vrai rôle que lui assignait la Providence, en relevant de ses mains victorieuses cet autel vénérable, en y ramenant par son exemple les populations quelque temps égarées. Et il ne fallait pas moins que sa gloire pour une telle œuvre ! De grands génies, non pas seulement parmi les philosophes, mais parmi les rois, Voltaire et Frédéric, avaient déversé le mépris sur la religion catholique, et donné le signal des railleries pendant cinquante années. Le général Bonaparte, qui avait autant d’esprit que Voltaire, plus de Moire que Frédéric, pouvait seul, par son exemple et ses respects, faire tomber les railleries du dernier siècle.

« Sur ce sujet, il ne s’était pas élevé le moindre doute dans sa pensée. Ce double motif de rétablir l’ordre dans l’état et la famille, et de satisfaire au besoin moral des ames, lui avait inspiré la ferme résolution de remettre la religion catholique sur son ancien pied, sauf les attributions politiques qu’il regardait comme incompatibles avec l’état présent de la société française.

« Est-il besoin, avec des motifs tels que ceux qui le dirigeaient, de rechercher s’il agissait par nue inspiration de la foi religieuse, ou bien par politique et par ambition ? Il agissait par sagesse, c’est-à-dire par suite d’une profonde connaissance de la nature humaine, cela suffit. Le reste est un mystère que la curiosité, toujours naturelle quand il s’agit d’un grand homme, peut chercher à pénétrer, nais qui importe peu. Il faut dire cependant à cet égard que la constitution morale du général Bonaparte le portait aux idées religieuses. Une intelligence supérieure est saisie, à proportion de sa supériorité même, des beautés de la création. C’est l’intelligence qui découvre l’intelligence dans l’univers, et un grand esprit est plus capable qu’un petit de voir Dieu à travers ses œuvres. Le général Bonaparte controversait volontiers sur les questions philosophiques et religieuses avec Monge, Lagrange, Laplace, savans qu’il honorait et qu’il aimait, et les embarrassait souvent, dans leur incrédulité, par la netteté, la vigueur originale de ses argumens. A cela il faut ajouter encore que, nourri dans un pays inculte et religieux, sous les yeux d’une mère pieuse, la vue du vieil autel catholique éveillait chez lui les souvenirs de l’enfance, toujours si puissans sur une imagination sensible et grande. Quant à l’ambition, que certains détracteurs ont voulu donner comme unique motif de sa conduite en cette circonstance, il n’en avait pas d’autre alors que de faire le bien en toutes choses, et sans doute, s’il voyait, comme récompense de ce bien accompli une augmentation de pouvoir, il faut le lui pardonner. C’est la plus noble, la plus légitime ambition, que celle qui cherche à fonder son empire sur la satisfaction des vrais besoins des peuples.