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des combinaisons éphémères, des cabinets protégés, cherchant leur force, mendiant leur pain ! Quel langage dans la bouche d’un ministère qui lui-même est dominé depuis quatre ans, qui cherche la force partout et ne la trouve nulle part, qui accepte le pouvoir pour vivre et non pour gouverner, qui remue ciel et terre pour rassembler, dans les circonstances décisives, des majorités de quatre et de onze voix, parmi lesquelles il faut compter les injurieux suffrages de quelques radicaux pessimistes ! M. Molé, par respect pour l’opinion qu’il représente dans le pays, ne pouvait laisser sans réponse les paroles provocantes de M. Guizot. La discussion des fonds secrets au Luxembourg a donc amené une nouvelle lutte parlementaire entre l’illustre président du 15 avril et le chef éloquent de la coalition de 1839.

Nous ne sommes pas de ceux que ces combats réjouissent. Nous laissons à d’autres le soin d’applaudir quand les hommes éminens du parti conservateur se divisent, et lorsque leurs divisions éclatent au grand jour. On connaît là-dessus notre sentiment. Ces divisions nous affligent. Nous souhaitons, dans l’intérêt du parti conservateur, qu’elles deviennent rares ; mais si M. le comte Molé a pris plusieurs fois la parole depuis le commencement de cette session, à qui la faute ? Pendant cinq ans, l’honorable pair avait gardé le silence. Il n’approuvait pas la politique du ministère, et cependant il se taisait. Qui est venu le chercher sur son banc ? D’où sont parties les provocations ? On a beau dire qu’un homme politique du rang de M. Molé doit mépriser les attaques dirigées contre sa personne ; quand l’outrage vient d’une presse pour ainsi dire officielle, comment le dédaigner ? Quand l’injure, à peine dissimulée sous des formes oratoires, tombe de la tribune, comment ne pas la relever, surtout si elle part d’un adversaire puissant, dont la parole exerce un grand prestige ? Qui peut blâmer un homme d’état de garder soigneusement sa renommée ? D’ailleurs il ne s’agissait pas seulement pour M. le comte Molé de défendre un caractère injustement méconnu. Ce qui a décidé l’honorable pair à prendre une attitude agressive contre le cabinet, c’est l’intérêt du parti conservateur. M. Molé pense que la politique du 29 octobre compromet la cause qu’elle croit défendre : son devoir était de le dire. Il a vu le danger : pourquoi l’aurait-il caché ? Qui mieux que lui pouvait donner à la couronne et au pays un avertissement utile ? Personne, du reste, n’accusera M. Molé de s’être laissé entraîner par sa situation nouvelle au-delà de son parti. Il est resté conservateur, et plus conservateur que le ministère, en l’attaquant. De justes ressentimens, de tristes souvenirs qu’on a eu l’imprudence d’évoquer devant lui, ont pu donner à ses paroles une certaine véhémence, qui a rappelé un instant ses vives répliques de 1839 ; mais sa pensée, toujours maîtresse d’elle-même, est restée sage et mesurée. La passion n’a pas nui à ses principes. Pourrions-nous en dire autant du langage que tenait M. Guizot dans la coalition ? Comparez les derniers discours de M. Molé et la lettre de M. Guizot aux électeurs de Lisieux. Qui des deux s’est montré le plus conservateur dans l’opposition ?