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des factieux, il les nomme tous ; on dirait qu’il rédige un rapport pour l’empereur des Français. Au reste, il ne comprend ni l’étendue de la catastrophe ni les causes qui l’ont rendue inévitable ; suivant lui, le royaume a péri par les fautes de l’administration de Beauharnais et par le mauvais vouloir des habitans de Milan. Avec la gravité d’un magistrat, Guicciardi démontre aux Milanais qu’ils ne savent pas comprendre leur bonheur politique, il se plaint de la noire ingratitude des courtisans de Beauharnais. Bien qu’il passe pour un des plus habiles administrateurs de l’Italie, le comte Guicciardi se montre bien naïf quand il traite certaines questions que mieux que personne il devait comprendre. Ainsi il ne voit pas que le sénat est tombé victime des menées de la noblesse lombardo-autrichienne, et que le royaume d’Italie a succombé devant l’insurrection de l’ancien duché de Milan. Qu’importait à la noblesse du duché que la moitié des fonctionnaires fût lombarde, que l’autre moitié fût italienne, que les emplois fussent confiés au mérite ? Le royaume d’Italie était né de la révolution, cela ne suffisait-il pas pour soulever contre lui la haine implacable de l’aristocratie ?

Le général de Vaudoncourt comprenait mieux la situation. Français, attaché à la cour du vice-roi, dans son apologie du prince Eugène[1], il représente franchement le parti français de la cour de Milan. Suivant lui, le royaume d’Italie n’a eu qu’une lutte à soutenir, la lutte contre les alliés : en 1805 ils agitaient le royaume, en 1809 ils le menaçaient, et en 1814 ils triomphaient, grace à l’émeute du 20 avril. Malheureusement le général français ne voit l’ennemi que dans le camp des alliés ou dans les intrigues de l’aristocratie italienne ; il oublie l’origine révolutionnaire du royaume d’Italie, et dans son irritation contre la noblesse lombarde, il ne s’aperçoit pas qu’il accuse à son insu l’administration du vice-roi. « Si l’on jette les yeux sur l’almanach de la cour, dit-il, on verra que non-seulement les nobles Milanais remplissaient presque seuls les écuries et les antichambres royales, et les bureaux de toutes les administrations, mais qu’ils occupaient des emplois du royaume plus que ne l’aurait permis une juste proportion entre les provinces, et beaucoup au-delà de ce que pouvait admettre leur capacité. » En présence de cette restauration aristocratique, la bourgeoisie devait en effet se montrer indifférente comme Coraccini, les fonctionnaires attachés au royaume devaient se plaindre de Beauharnais comme Guicciardi. Quant au parti français, fallait-il s’étonner qu’il fût indigné et impuissant comme M. de Vaudoncourt ?

  1. Histoire militaire et politique du prince Eugène Beauharnais ; Paris, 1828.