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la scène est changée, et l’oppression revêt des formes nouvelles. Une douloureuse expérience a éclairé l’Italie. On veut trouver dans l’administration plus d’intelligence politique ; on demande aux poètes un sentiment plus vrai de la réalité. A partir de 1815, les bonapartistes, les libéraux, toutes les nuances de l’opposition se réunissent en un seul groupe. Milan, le centre du royaume d’Italie, reste naturellement à la tête du mouvement littéraire et politique. C’est là que Confalonieri, Pellico, Romagnosi, Rasori, H. Visconti, Berchet, Borsieri, Pecchio, se donnent rendez-vous dans le Conciliatore en 1818 l’Autriche imposait l’immobilité, défendait toutes les innovations ; l’opposition prêcha le mouvement et réclama une révolution n’importe à quel prix.

Rédigé d’un style vif et caustique, le Conciliatore engagea le combat sur le terrain de la littérature. Là se rencontrait cette foule d’écrivains que Foscolo signalait au mépris : c’étaient moins des absolutistes dangereux que des gens simples, naïfs, incapables de soupçonner qu’il fallait une pensée à la parole. Ils passaient paisiblement leur vie dans l’étude des harmonieuses puérilités de la langue. Très révérencieux envers leurs maîtres et seigneurs, ils auraient donné la vie pour la défense d’une phrase bien tournée. Les premiers coups du Conciliatore furent dirigés contre cette littérature vide et prétentieuse. Elle était classique, on lui opposa les théories de Bouterwerk et de Schlegel : elle invoquait l’autorité des anciens, on lui opposa Camoëns, Shakspeare, Byron, Schiller, Goethe, toutes les autorités du monde moderne ; on lui opposa l’antiquité elle-même, qui ne cherchait pas sa poésie dans un âge antérieur. Les classiques parlaient de la nationalité italienne : le Conciliatore fit justice de ce patriotisme de pédans et de rhéteurs. Peu à peu, l’horizon du Conciliatore s’étendit ; les questions littéraires menèrent aux questions pratiques. On se passionna pour l’enseignement mutuel, les bateaux à vapeur, l’éclairage au gaz ; on évoqua les souvenirs du royaume d’Italie ; bref on franchit la ligne qui sépare la littérature de la politique. Une sourde impatience animait les esprits. On attendait le réveil de l’Espagne, on brûlait de rejoindre l’Angleterre et la France dans la carrière des révolutions, on s’irritait de l’espèce de blocus moral que l’Autriche appliquait aux provinces italiennes. En présence du parti classique qui ne cessait de crier à la décadence du goût, aux barbares, à la profanation, le Conciliatore s’efforça d’organiser l’alliance de la littérature et de la politique. Fidèle à son titre, il opposait aux attaques des classiques une théorie où se conciliaient dans un bizarre éclectisme