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À qui s’adressait M. Mazzini ? Au peuple, et son action se fondait sur les sociétés secrètes. De qui se méfiait-il ? Des chefs, et il se laissait imposer un Polonais, le général Romarino, pour le mettre à la tête de l’expédition. Comment devait se faire la révolution ? Par les masses, par les bandes, par le pays, et on partait de Genève avec une poignée d’hommes que Romarino inspectait et régentait comme une grande armée. C’est à peine si M. Mazzini, après mille efforts, entraînait cinq cents personnes ; c’est à peine si ses amis, poursuivis par la police, parvenaient à se réunir, dans le village d’Annemasse, au nombre de deux cents, dont la moitié n’étaient pas Italiens. Romarino, qui s’était toujours montré indécis, les abandonnait avant d’avoir vu l’ennemi, et, dans une seule journée, M. Mazzini vit s’évanouir tout le travail d’une propagande de deux ans.

Récemment, en 1842, M. Mazzini, après un silence de huit années, s’est adressé de nouveau à la jeunesse italienne. Exilé d’Italie, de France, de la Suisse, réfugié à Londres, il établissait une école d’ouvriers et un journal sous le titre d’Apostolato popolare. Des écoles et des journaux, obéissant à la même direction, se sont fondés dans les pays les plus lointains. A Montévideo, l’Italiano compte, à ce qu’on dit, cinq mille abonnés ; des écoles d’ouvriers italiens ont été fondées à Boston et à New-York par d’autres émigrés. Nous retrouvons dans l’Apostolato popolare le jeune homme de 1832 avec toutes ses convictions et tout son dévouement, mais non plus avec la même confiance dans le succès immédiat de ses efforts. Ce n’est pas que M. Mazzini n’ait conservé un grand ascendant sur ses amis. L’obstacle contre lequel il lutte, c’est son propre découragement ; on voit qu’il ne marche plus au combat, mais au martyre. « Il vient de s’écouler, dit-il[1], huit années, longues, funestes, obscures. J’ai vu toute la génération née avec le siècle, élevée dans l’orgueil et la menace, vieillir, s’avilir, s’affaisser dans l’oisiveté patiente de l’esclavage et dans les calculs ignobles de l’égoïsme, qu’elle flétrissait autrefois en paroles. J’ai vu des hommes qui avaient juré la délivrance de l’Italie retomber dans l’inertie parce qu’après deux ans d’efforts tièdes et interrompus ils n’avaient pu créer un peuple. J’ai vu des jeunes gens fervens de cœur et d’esprit qui disaient presque avec insulte aux cendres de nos pères : Nous ferons mieux, et ils reculaient tremblans devant le sang des premiers martyrs en livrant le camp à l’ennemi. Ils avaient des velléités d’espérance et point de foi. J’ai vu le scepticisme, le froid et mortel scepticisme

  1. 31 décembre 1842 : Apostalato popolare.